Lettre ouverte à François Chérèque

Retour au sommaire - BIPP n° 56 - Décembre 2009
Paris le 4 décembre 2009
 

La campagne de vaccination se serait déroulée de toute autre façon si nos concitoyens avaient eu l'opportunité d'en parler en confiance à leur médecin de famille et n'avaient pas eu à se retrouver gérés comme du bétail dans d'interminables attentes. Un citoyen est digne de soins et non d'une gestion industrielle.

Dans ce contexte, vous osez accuser les médecins généralistes qui demandent la possibilité de vacciner contre la grippe A dans leurs cabinets de n'être préoccupés que de gagner toujours plus d'argent.

Vos invectives s'inscrivent dans une stratégie d'ensemble visant actuellement à disqualifier toute la médecine libérale et qui s'observe depuis des mois. À qui profite ce systématique dénigrement des médecins mis en œuvre par la Sécurité sociale ?

Montrer du doigt certains excès permet d'occulter une réalité que vous connaissez bien.

Dans un monde désormais ouvert sur l'international, peut-on au moins rappeler le vertigineux écart entre les honoraires des médecins français et leurs collègues européens (à peine la moitié en ce qui concerne les psychiatres) ? Cet écart ne poussera certes pas les médecins en exercice à émigrer, mais qu'en sera-t-il des jeunes quand on voit que le nombre d'installations en médecine libérale parmi les nouveaux diplômés est désormais tombé en dessous de 10 % ?
Vos outrances, M. Chérèque, rendent pourtant deux services.

D'une part la polémique qui a suivi démontre qu'une limite a été atteinte et que l'opinion publique n'est pas prête à croire n'importe quoi sur une médecine libérale qu'elle continue de plébisciter. À cet égard, M. Chérèque, vous devez mesurer qu'à travers le médecin qu'ils se choisissent, ce sont aussi les patients qui se sentent insultés par vos propos.

D'autre part, vous rappelez à juste titre que nous sommes tous inscrits - patients, médecins, caisses d'assurances maladies, mutuelles et responsables politiques - dans un système de santé dont la principale variable d'ajustement demeure les honoraires des médecins libéraux, et notamment les honoraires de consultations.

De ces deux points se déduisent deux constats simples :

Le premier est que l'efficacité des soins reposant avant tout sur l'observance des traitements, il y a peu à espérer en termes d'amélioration des soins en sapant ainsi la confiance que les patients portent à leur médecin. Si elle réussissait, une telle entreprise ne produirait que ce que l'on a vu récemment à propos de la vaccination contre la grippe A : une très large défiance envers les soins, face à laquelle les récents événements ont également démontré que la parole politique est totalement impuissante pour suppléer la parole médicale. Si les généralistes ont demandé la possibilité de vacciner dans leurs cabinets c'est bien pour permettre aux patients de surmonter leurs craintes devant la vaccination et non pas pour gagner plus d'argent. Mais, M. Chérèque, vous le savez très bien.

Le second est que la survie de notre système de santé dépend du fait que les médecins libéraux continuent d'accepter des honoraires inférieurs à ce qu'ils seraient dans un autre système de santé. C'est ce qu'ils font depuis la mise en place du système conventionnel au tournant des années soixante. Ils expriment par là leur attachement à la solidarité qui ordonne notre système de soins. En revanche, il n'y a rien de scandaleux à ce qu'ils revendiquent que ces honoraires soient décents au regard de leur niveau de qualification et de responsabilité. Or ce n'est actuellement plus le cas pour les médecins exerçant en secteur 1, que ce soit en médecine générale ou dans les spécialités cliniques. Mais cela aussi, M. Chérèque, vous le savez très bien.

C'est pourquoi, M. Chérèque, nous vous invitons à prendre conscience que le dénigrement systématique de la médecine libérale ne profite à personne :
- Il ne profite évidemment pas aux médecins qui s'en agacent et, pour les plus jeunes, se détournent des modes d'exercice les plus exigeants ;
- Il ne profite pas aux patients qui se sentent eux aussi insultés dans leurs choix et peuvent vaciller dans l'adhésion aux traitements qui leur sont pourtant nécessaires ;
- Il ne profite pas non plus aux caisses d'assurances maladie : que ferez-vous quand la médecine libérale aura disparu, ce qui est actuellement à craindre, et que la seule marge de manœuvre qui vous restera sera de vous exposer frontalement aux patients pour rationner les soins de manière autoritaire?

M. Chérèque, il vous est loisible de considérer la médecine libérale comme un fusible. Les médecins n'en sont pas dupes. Mais mesurez bien que, si vous grillez ce fusible-ci, c'est ensuite aux seuls patients que vous aurez directement affaire et devant lesquels il vous faudra répondre de vos positions. Quant à nous, il n'est évidemment pas question de les abandonner tant que nous sommes là.

Mais, au moment où s'ouvre une négociation conventionnelle qui s'annonce difficile, peut-être souhaitiez- vous vous assurer par votre éclat qu'aucun accord ne puisse se trouver afin de pouvoir poursuivre indéfiniment cette absurde stratégie de dénigrement de la médecine libérale?

Pour le Syndicat National des Psychiatres Privés
Le Président
Olivier Schmitt

NB - François Chérèque est Secrétaire Général de la CFDT, confédération qui préside l'UNCAM en la personne de Michel Régereau (NdlR).

 

 

 


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