L’AFPEP et son action internationale

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 58 - Janvier 2011

Plusieurs projets fortement soutenus par l'AFPEP sont en voie d'aboutir au niveau international : le Colloque de Cerisy et le DIP (Diagnostic Intégré centré sur la Personne).

Le Colloque de Cerisy La Salle :

Sur le thème de l'empathie, il sera l'occasion pour les psychiatres français, publics et privés, de dialoguer dans un lieu prestigieux avec des conférenciers de plusieurs pays et de domaines de compétence allant de la philosophie aux neurosciences en passant par la psychanalyse, l'anthropologie, l'art et l'économie.

La bataille des classifications :

Pour rappel, deux classifications dominent actuellement et s'imposent à la communauté scientifique internationale : l'américaine, avec le DSM4 (Manuel diagnostique et Statistique des troubles Mentaux), rédigée par la seule A.P.A., (Association Américaine de Psychiatrie) et la classification internationale de l'OMS, dont la dernière version, la CIM10, est presque calquée sur le modèle américain. Dans beaucoup d'Etats, la CIM10 est imposée autoritairement aux praticiens et chercheurs et aux institutions de soins sans leurs avis.

- La révision du DSM est en cours, réalisée par la puissante A.P.A. forte de ses nombreux adhérents et de la vente du DSM (rapport indispensable de millions de dollars). Les comités dévolus à chaque chapitre du DSM travaillent sur une base a-théorique, en opposition avec la psychiatrie psychodynamique. Elle est devenue descriptive de « troubles » en nombres grandissants (60 pathologies au départ à 410 dans le DSM4), voulant élargir le champ du pathologique aux formes émergentes de pathologie. Ainsi, dans le prochain DSM5 arrivent des syndromes de risque, prétendant non pas à la prévention mais à la prédictibilité, qui autoriserait à prescrire des neuroleptiques à des adolescents jugés atypiques. Deux éléments disparaissent : la « personnalité narcissique » et la psychose du post-partum. La superficialité de cette version faisant entrer des excentricités de conduite comme maladies sans contextualiser ni différentier au sein de structure syndromique les « troubles ». Enfin, les conflits d'intérêts financiers entre les experts des comités du DSM4 et l'industrie pharmaceutique sont maintenant mis à jour par des publications internationales dont plusieurs traduites en français.

Enfin, cette classification est américaine imprégnée par la pensée pragmatique qui veut qu'une vérité soit construite avec des chiffres (statistiques) éliminant toute causalité psychique du diagnostic.

Le malheur est qu'elle est imposée aux psychiatres par beaucoup d'Etats.

Après le moratoire décrété par l'OMS sur la révision de la CIM10 jusqu'à cette année, les travaux de la révision ont repris, l'OMS a peu de moyens financiers (contrairement à l'APA pour la révision du DSM), et la CIM concernent toutes les branches de la médecine. L'OMS doit donc s'appuyer sur des praticiens bénévoles, des CCOMS (Centre collaborateur OMS) dans chaque pays, des associations scientifiques médicales, en psychiatrie la WPA, et des associations d'« usagers ».

L'AFPEP a accepté, en octobre 2009, sans être dupe (dans un souci d'observer la réalité de cette révision aux enjeux nombreux et cruciaux pour notre discipline) de participer à la révision de la CIM10 à deux niveaux :

1/ En tant qu'association membre de la WPA, nous avons proposé à tous les adhérents de l'AFPEP dont nous avions l'adresse mail (624), de répondre au questionnaire OMS en français, anonyme mais clairement identifié par association. L'OMS a reçu 28 % de réponses au questionnaire envoyé à nos adhérents par mail. Cette première étape en français avait l'OMS comme interlocuteur.

La prochaine étape va s'avérer plus délicate, car l'interlocuteur sera la WPA et les propositions que nous ferons doivent être en anglais et référencées selon une méthodologie très EBM. Nous avons peu de chances d'être entendus et il n'est pas exclu de nous retirer alors.

2/ En tant que participant, au titre de représentant de la FFP, aux travaux du CCOMS français, qui a choisi de cibler ses propositions sur la question de la psychose, la psychiatrie de l'enfant et l'adolescent et les troubles sexuels (« transe genre » en particulier), et de faire participer les associations d'« usagers », avec la préoccupation de classifier/déclassifier sans stigmatiser. J'y suis invité comme représentant la FFP.

Les enjeux complexes concernent :

  • Le diagnostic qui ne doit pas être un but en soi. Dans la CIM10, il est réducteur lorsqu'il confond malade et maladie oubliant toute approche subjective. Les associations d'« usagers » demandent de ne plus être classifiées dans les catégories de la maladie mentale, trop stigmatisantes, alors que leurs soins sont indemnisés par les assurances maladie.

  • La recherche, selon qu'on déclassifie ou pas certaines pathologies.

  • L'assurance maladie, se trouve concernée (indemnisation en A.L.D. ou par le handicap...).

  • Le plan judiciaire enfin où la question diagnostique psychiatrique reste cruciale en matière d'expertise, de tutelle, de responsabilité criminelle, de capacité à être jugé.

Les praticiens de terrain d'exercice privé, peu contraints à classifier dans leur exercice de cabinet, sont moins mobilisés sur la question des classifications mais ceux d'exercice mixte savent l'obligation faite dans le secteur public ou le secteur médico-social d'utiliser cette CIM10.

Les Classifications alternatives

Nous avions depuis les Etats Généraux de la Psychiatrie à Montpellier en 2003 pris l'engagement avec l'ensemble des Sociétés Françaises de Psychiatrie et de presque toutes les Sociétés Psychanalytiques françaises qu'il était prioritaire de construire et de faire reconnaître internationalement une classification qui soit compatible avec une psychiatrie clinique prenant en compte la personne du patient, sa subjectivité, tout autant que celle du psychiatre. Juan Mezzich, président élu de la WPA, y assistait et avait depuis cité ce moment consensuel et ses arguments fondamentaux. Durant son mandat de 2005-2008, il a lancé un Programme Institutionnel de Psychiatrie centrée sur la Personne (IPPP), à partir des travaux de la section des classifications de la WPA auxquels les psychiatres français avions été invités à contribuer dès 2001 à la Conférence de Londres où Michel Botbol présentait la Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l'Adolescent CFTMEA (Mises), puis à New York (mai 2003), puis en 2004, à New York décide d'élaborer un Diagnostic Psychiatrique Intégré (DIP) pour servir d'outil à ce retour de la psychiatrie de la personne.

Le travail commun de l'OMS et la WPA vers la CIM11 ne pouvait aller au-delà d'un toilettage de surface, inscrit dans la mouvance de la réforme en cours du DSM4.

Du fait des intérêts économiques, politiques et académiques qu'une réforme plus ambitieuse risquait de remettre en cause, il revenait à l'IPPP de poursuivre seul son chemin fort des engagements des praticiens et des associations dans cette démarche.

Nous avons publié l'an dernier un « Manifeste de la Psychiatrie de la Personne ». (Juin 2009, éditeur DOIN, sous la dir. S.D. Kipman) où nous présentons la Classification DIP (Diagnostic intégré centré sur la personne Person-centered Integrative Diagnosis PID) : comment prendre en compte la subjectivité dans une classification « centrée sur la personne » (M. Botbol). En mars 2008, aux Francopsies de Dakar Juan Mezzich avait également présenté le DIP.

Voici un extrait de cette présentation : Un modèle intégré à plusieurs niveaux.

Inscrit dans un autre paradigme le PID propose, dans sa forme actuelle, une structure à plusieurs niveaux, afin d'évaluer le statut de santé de la personne dans ses doubles aspects, positifs et négatifs. Ainsi les deux grands domaines étudiés sont, d'un côté, la dimension pathologique ; de l'autre, les aspects positifs de santé. Dans chacun de ces grands domaines, le PID propose des niveaux susceptibles d'être évalués à partir de composantes standardisées ou à partir de données narratives idiographiques personnalisées. L'intégration de ces domaines dans leurs différentes composantes a pour objectif de constituer les bases informationnelles nécessaires pour indiquer et construire une intervention de soin, fournir des informations de base pour l'enseignement et la recherche, la planification en santé publique et les fonctions administratives et économiques impliquées dans les soins.

Dans l'état actuel de son développement, le modèle comprend dans chacun de ces grands domaines trois principaux niveaux.

* Dans le domaine de la pathologie :

  • Le premier niveau est la pathologie elle-même et son poids. Ce niveau est lui-même divisé en deux sous-niveaux, le premier sous-niveau correspondant aux catégories cliniques à la fois dans le domaine mental et général. Le second sous-niveau correspond au handicap induit par ces entités cliniques, c'est-à-dire aux conséquences sociales de cette pathologie, dans les soins personnels, les fonctions occupationnelles, les fonctions familiales et les fonctions sociales.

  • Le second niveau du grand domaine de la pathologie correspond au ressenti concernant l'expérience de la maladie. Dans ce niveau plus encore que dans les autres, ce sont les données narratives idiographiques personnalisées qui auront la place essentielle, mais il n'est pas exclu que ces aspects puissent être également évalués par le biais d'éléments plus standardisés [22]. Ce niveau comprend des thèmes tels que la souffrance, les expériences culturelles et les valeurs liées à la maladie et aux soins.

  • Le troisième niveau de ce même domaine concerne les facteurs contribuant à la pathologie, c'est-à-dire les facteurs de risques. Doivent être considérés tant les facteurs de risques internes, (comme la vulnérabilité génétique, les organisations psychopathologiques, les fonctionnements cognitifs et instrumentaux, les mécanismes de défenses psychiques et les configurations dynamiques, économiques et topiques), que les facteurs de risques externes, (comme les stresseurs environnementaux ou les événements de vie). L'évaluation de ces facteurs doit, elle aussi, faire l'objet d'une évaluation biopsychosociale utilisant à la fois des instruments standardisés et des formulations narratives idiosyncrasiques personnalisées.

* Dans le grand domaine de la santé positive,

  • Le bien-être est considéré comme le premier niveau qui se divise en deux sous-niveaux : le premier correspondant à la récupération, la rémission, tandis que le second sous-niveau correspond au niveau de fonctionnement.

  • Le second niveau de santé positive correspond à l'expérience de la santé qui, elle aussi, doit être évalué essentiellement à partir des données narratives idiosyncrasiques personnalisées mais peut faire l'objet d'une évaluation standardisée. Cela inclut notamment des thèmes comme la qualité de vie, les formulations de valeurs et de culture concernant l'identité et le contexte.

  • Le troisième niveau dans ce grand domaine de la santé positive inclut les facteurs positifs de protection qui comprennent à la fois des facteurs internes de protection (comme la résilience, les mécanismes de défense protecteur et les modes de fonctionnement psychologiques protecteurs qu'ils soient cognitifs ou psychodynamiques), et des facteurs externes de protection comme le support social. Tous ces facteurs doivent être évalués selon un schéma biopsychosocial utilisant à la fois des instruments standardisés et les données narratives idiosyncrasiques personnalisées.

Comme on le voit, le PID présente, du point de vue de sa méthodologie, deux nouveautés fondamentales :

L'association d'éléments narratifs idiosyncrasiques aux repérages quantitatifs dimensionnels et catégoriels, ce qui permettra d'enrichir et d'approfondir les descriptions personnalisées des domaines et niveaux considérés.

L'interactivité du processus diagnostic : dans le PID, le professionnel évaluateur est l'un des partenaires d'un trialogue impliquant également le patient et la famille dans une démarche où ils auront conjointement la charge de mener ce processus afin de planifier des interventions thérapeutiques.

Le PID relève donc le défi lancé par le Programme de Psychiatrie de la Personne. C'est un nouveau modèle de conceptualisation qui, sans être psychodynamique ou phénoménologique par nature, est à l'évidence beaucoup plus compatible avec des approches qui s'y réfèrent [23]. Il permet d'appliquer à la pratique clinique ordinaire les principes de la psychiatrie centrée sur la personne en donnant une traduction opérationnelle à l'ambition qui les détermine : mettre toute la personne dans son contexte au centre des soins cliniques et de la santé publique. Le PID développe ainsi une définition plus large et plus profonde du diagnostic, au-delà du concept restreint de diagnostic nosographique. Il implique une formulation à plusieurs niveaux, permettant de rendre compte du statut de santé dans ses aspects à la fois pathologiques et positifs qui sont toujours impliqués dans la définition d'un trouble chez une personne donnée. Processus évolutif, il s'appuie sur la participation interactive des cliniciens, des patients et des familles, chacun des partenaires étant engagé à égalité dans cette démarche qui les implique subjectivement ; il utilise tous les outils descriptifs disponibles (catégorisation, dimension) et introduit dans chacun de ces niveaux une dimension narrative idiosyncrasique personnalisée qui vient asseoir l'importance donnée à l'interaction avec le patient et à sa subjectivité dans ses aspects phénoménologiques et dynamiques ». Le diagnostic en Psychiatrie de la Personne, J. Mezzich, M. Botbol, A. Besse, I. Salloum.

Ces travaux sont actuellement réalisés au sein d'un réseau international INPCP (réseau international de psychiatrie centrée sur la personne) et se sont élargis aux disciplines cliniques médicales avec l'INPCM (réseau international pour la médecine centrée sur la personne), l'ensemble présidé par Juan Mezzich. Une Revue : International journal of Person centered Medicine sortira prochainement chez University of Buckingam Press, (revue à impact factor). J'ai été invité à entrer à son comité éditorial international.

Le samedi 9 octobre 2010, nous participions au nom de l'AFPEP à la réunion chez Patrick Landman sur « la bataille des classifications » avec une approche des classifications alternatives comme la classification PDM (Manuel Diagnostique Psychodynamique), il m'invitait à présenter le DIP et la stratégie de l'AFPEP. La majorité des associations de psychanalystes y était représentée et prépare un Manifeste en cours d'élaboration en collaboration avec nous.



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