Réflexions sur la réforme de la Loi de 1990

Retour au sommaire - BIPP n° 58 - Janvier 2011

Notre Dossier

Nous consacrons à nouveau plusieurs pages de ce BIPP au projet de réforme de la Loi de 90 pour bien rappeler :

- à quel stade en est ce dossier ;

- qu'est ce que le syndicat a posé jusqu'à ce jour ;

- quels sont les enjeux pour l'avenir et le débat que cela suscite.

1 / Madame Bachelot, quand elle était Ministre de la Santé a déposé un projet de réforme de la Loi de 90, que nous avons déjà largement commenté et auquel nous avons réagi, qui devrait être discuté au Parlement à la session de printemps. Le Conseil Constitutionnel vient de prendre une décision rappelant qu’en matière de privation de liberté le recours au juge est incontournable. Cet arrêté va contraindre le Gouvernement à remodeler son texte. Dans quel sens ?

2 / Le SNPP s’oppose aux soins sous contrainte en ambulatoire et réaffirme son extrême vigilance au respect de la liberté des patients et des psychiatres. L’arrêté du Conseil Constitutionnel est une première réponse au premier volet de nos préoccupations.

3 / Que peut-on anticiper à partir de là. Diverses positions nourrissent le débat quant aux craintes des dérives possibles dans la réécriture du projet de réforme. Le SNPP redouble de vigilance et maintient sa pression pour le respect des impératifs absolus de l’exercice de la psychiatrie en libéral qu’il rappellera aux parlementaires.

Nous vous présentons ici plusieurs contributions.

 

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 publié dans "L'Information psychiatrique"; 86 ; juin-juillet 2010; n°6 ; p.475-476; sous le titre : "Réforme de la loi de 1990  Réunion des fédérations hospitalières et des Conférences de Présidents de C.M.E. Ministère, 20-4-2010" en ligne sur:  http://www.cme-psph.fr/content/view/52/14/

Réunion des fédérations hospitalières et des Conférences de Présidents de C.M.E. Ministère 20-4-2010.

Dr Bernard ODIER[1], pour la CNPCMEHPPSPH[2]

1. L’effacement du tiers

Vingt ans de fonctionnement de la loi de 1990 ont opéré un changement dans la place faite au tiers et prise par le tiers dans le déclenchement des hospitalisations contraintes. L’époque n’est plus à la valorisation de la volonté et de l’esprit de décision auxquels encourageait la loi de 1838. La cohabitation administrateur de garde/ psychiatre de garde, généralisée dans les S.A.U. depuis 1991, a organisé les conditions d’un dérapage, désormais épinglé.

Sur ce point, la réforme envisagée constitue l’achèvement du tiers par sa subsidiarisation. Sur un plan sociétal, c’est un marqueur de la dilacération des liens sociaux, et sur un plan symbolique, c’est courir le risque de se priver d’un mode de restauration des liens familiaux. C’est la fin de l’institution du tiers par l’extinction d’un de ses modes d’instauration. L’avenir dira si « l’homme sans tiers » est un progrès, ou un petit pas vers la barbarie.

Pour les médecins, leurs responsabilités en sont alourdies, puisque pouvant décider seuls, ils devront décider seuls. Les médecins ont-ils raison de s’en réjouir ? Ou s’agit-il d’un péché d’orgueil, les médecins s’avançant peut-être beaucoup en se jugeant capables de juger à eux-seuls de la sévérité d’une situation ?

C'est que la souffrance du tiers est en effet un marqueur du passage de la souffrance privée à l'expression publique de la psychose. Angoisse transmise, souffrance projetée, sont des « précurseurs » des mécanismes de projection qui sous-tendent beaucoup des troubles du comportement observés en psychiatrie.

Concrètement, le nombre des traitements contraints, ambulatoires et hospitaliers, parfois brefs, augmentera pendant une longue période.

2.      La fiction des « soins ambulatoires sans consentement »

La notion de « soins ambulatoires sans consentement » est une fiction dont l’avenir dira si c’est une fiction dangereuse.

Il faut en effet situer la nouvelle mesure envisagée sur la toile de fond de la segmentation des filières de soins qu’organisent la loi HPST et les procédures d’autorisation. En distinguant hospitalisation contrainte, et soins ambulatoires contraints, l’administration va permettre le développement de l’activité de nouveaux acteurs[3], qui exerceront séparément des responsabilités dans ces nouveau registres. Se produira alors le phénomène de « déresponsabilisation croisée » que les psychiatres connaissent bien puis qu’il s’était produit en 1990 quand la loi avait désormais requis l’avis de deux médecins pour déclencher une H.D.T.. En pratique, chacun d’entre eux se sentait moins responsable de cette décision que s’il l’avait pris seul, et le nombre[4] des internements s’était mis à enfler. Ce mécanisme de dilution des responsabilités a quelque chose de moderne, il est possible qu’il se développe en contrepoint de la montée en puissance du principe de précaution autrefois appelé « ouvrir le parapluie ».

Or pour des raisons cliniques les seules obligations qui peuvent être réellement mises en œuvre concernent l’hospitalisation. Lors des décompensations psychiatriques, un certain nombre de « facultés » s’effondrent chez les malades, et le jugement qui reste opératoire le dernier repose sur l’orientation spatiale. La perception de l’opposition intérieur/extérieur, ainsi que la distinction des espaces et des enceintes sont à la base des jugements qui restent le plus longtemps intacts dans les états de désorganisation de la pensée. C’est la réalité sur laquelle repose la loi de 1990 (après celle de 1838) qui préfère distinguer un espace ( celui de l’hospitalisation psychiatrique, « régi par la loi de 1990 »), auquel on réfère temporairement un malade (d’où la logique des « sorties d’essai ») plutôt que de créer un élément (« être l’objet d’une mesure de soins ambulatoires sans consentement » ) qui risquerait d’être constitutif d’un statut du malade mental[5].

3.      Pas de loi-nasse pour les malades mentaux

Au nom du vieux principe « qui a bu boira », l’administration propose la création d’une nouvelle catégorie de malades ayant en commun des antécédents judiciaires et/ou psychiatriques inquiétants : « les malades qui ont été dangereux ». Elle propose et se propose de s’entourer de précautions à leur sujet.

Les psychiatres récusent la notion de « dangerosité psychiatrique ». C’est donc l’administration, qui par décalque avec la dangerosité criminologique, improvise un regroupement qui donnerait corps à cette notion.

C’est à la fois trop, et trop peu.

Trop, par ce que l’administration essaye de créer un classement au sein des malades qui ne s’appuie sur aucun travail clinique ou épidémiologique,

Trop peu, par ce que la prévention des drames à l’origine desquels l’on trouve des histoires psychiatriques se fourvoie à se pencher prioritairement sur les « récidivistes[6] ». C’est le scandale (c’est à dire aujourd’hui la presse et les médias) qui dicte cette priorisation, tandis que l’expérience clinique enseigne que le danger est partout, où plutôt que c’est en agissant partout que l’on agit de surcroît sur la constitution ou la pérennisation de situations dangereuses[7].

Les psychiatres ont peut-être été pusillanimes sur cette question, et une issue à ce dialogue si mal engagé sur ce point entre administration et psychiatres consisterait peut-être à considérer les « situations dangereuses » plutôt que les « malades dangereux ». En effet les prescriptions pointilleuses que l’administration envisage de suggérer au législateur à propos des sorties et des sorties d’essai ont à voir avec cette notion de situation dangereuse, et l’invention du « collège » vise le recueil d’informations élargies au delà du registre clinique traditionnel[8].

L’action psychiatrique, et notamment l’action des équipes de psychiatrie de secteur psychiatrique, avec leurs valences médicales et sociales, vise à faire évoluer ces situations dangereuses, au moyen entre autres du traitement des malades.

[1] Directeur de l'hospitalisation, Association Santé mentale du XIII°, 11 rue Albert Bayet, 75013 PARIS.
tél. : 01 40 77 44 00. odierbernard@wanadoo.fr

[2] Conférence Nationale des Présidents de Commission Médicale d'Établissement des Hôpitaux Psychiatriques Privés Participant au Service Public Hospitalier

[3] Les psychiatres libéraux entre autres selon BACHELOT ( Présentation du projet de loi au Conseil des ministres du 4 mai 2010).

[4] J'avais annoncé cette tendance dès 1989 dans un article publié dans le bulletin de l'U.S.P.

[5] Cette tendance est perceptible actuellement chez ceux qui demandent « une plus grande articulation entre les mesures de protection des biens et de protection de la personne ».

[6] Terme impropre en psychiatrie où les notions de frayage comme de compulsions de répétition ne disposent pas de substantifs.

[7] Sur le concept de situation dangereuse, on peut lire les chapitres de GOEMARE J., HOUCHON G. & VAN OUTRIVE L. dans DEBUYST C. ; Dangerosité et justice pénale ; Masson, Médecine et Hygiène ; Genève ; 1981 ; 350p..& ODIER B. ; « Intérêt clinique de la notion de situation dangereuse » ; Communication au XV° Journées de l'Information psychiatrique, Annecy, 1996 (non publié).

[8] Dont le ministère souligne le côté « purement médical »

 




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