Non à l'instauration de juges d'application des soins !

Olivier Schmitt
Retour au sommaire - BIPP n° 58 - Janvier 2011

La décision du Conseil Constitutionnel concernant les HDT[1]a eu un effet de sidération et de confusion sur les soignants en psychiatrie. La raison en est qu'elle soulève un paradoxe qui n'est certes pas nouveau, mais qui était tant bien que mal traité au cas par cas jusqu'à présent dans la confiance relative aussi bien envers la justice qu'envers les psychiatres.

  • D'une part, dans une démocratie, la privation de liberté ne peut que rester de l'ordre du droit commun et relève donc de la justice,

  • D'autre part les soins en psychiatrie qui traitent des « pathologies de la liberté » (comme le disait Henry Ey) doivent constamment tenir compte de la qualité de cette liberté. La liberté, peut confiner au délaissement et expose à des privations de liberté bien plus grandes encore (schizophrènes SDF ou en prison). Autrement dit, une limitation de la liberté est donc bien souvent une nécessité pour la conduite d'un soin, même si le soin ne peut en aucun cas se limiter à cette limitation. Elle est donc d'abord de la responsabilité du soin, pas du judiciaire.

Cette contradiction ne peut être résolue par aucune loi contraignante. C'est dans un cadre juridique, laissant un espace respectant pouvoirs et contre-pouvoirs, que peut s'épanouir l'art du soin dans la complexité des relations transférentielles et contre-transférentielles.

Il est vrai qu'un malade pris dans un contre-transfert négatif de la part de ses soignants, ou pire face à une équipe qui dénie la dimension du transfert dans la coercition, vit un enfer insupportable, inadmissible. Il y a donc des situations qu'il faut prévenir et il n'est pas question de laisser un pouvoir absolu aux soignants. Il faut donc un contre-pouvoir face à ces dérives possibles.

Bien sûr, on peut penser que ce contre-pouvoir peut passer par un juge. Mais si l'on fait intervenir un juge, il ne peut intervenir qu'au regard d'une conduite de soin normalisée, autrement il serait mis dans la situation de déterminer quel serait le soin le meilleur pour tel patient à tel moment et ce ne peut être sa fonction. L'intervention d'un juge à ce niveau est donc la porte ouverte aux protocoles préétablis et déshumanisants auxquels seraient tenus de se conformer les soignants afin de permettre au juge de dire si les soins sont conformes ou pas. Le recours à la justice doit être indépendant d'un jugement sur la qualité des soins.

La seule manière de se protéger d'un pouvoir totalitaire des soignants est, non pas l'intervention systématique du judiciaire, mais le respect d'une règle fondamentale qui n'est malheureusement pas assez suivie d'effet : autant que faire se peut, le patient doit avoir le libre choix de ses soignants[2]. Il s'agit là de favoriser l'épanouissement des transferts positifs qui sont les fondements d'actions thérapeutiques efficaces. Le non-respect de cette règle doit pouvoir faire l'objet d'un recours judiciaire toujours possible, mais une intervention systématique d'un juge aurait des effets pervers dans l'évolution complexe des relations soignants-malades.

Alors, certains diront que nous n'avons pas les moyens de respecter ce libre choix. C'est bien cela qui est scandaleux ! La déréliction où se trouve l'hôpital, la régression conceptuelle des pratiques psychiatriques, la formation des soignants en perte de spécificité, l'obsession sécuritaire et ses effets pervers et enfin la réduction drastique des moyens en sont la cause.

Lorsqu'on sait que ce qui se passe à l'hôpital rejaillit tôt ou tard sur les pratiques privées (on le voit tous les jours), il y a du souci à se faire d'autant que nous avons maintenant le même "patron" : l'ARS !

[1] Intervention systématique d'un juge à 15 jours d'une HDT pour décider de sa poursuite ou non.
[2] Cette règle déontologique est un pilier des positions constitutives de l'AFPEP depuis ses origines.


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