Quelle psychiatrie demain ?

Michel Marchand
Retour au sommaire - BIPP n° 58 - Janvier 2011

Cette question constitue le thème du colloque organisé le 3 février prochain au Sénat par le Comité d’Action Syndical de la Psychiatrie pour mieux faire comprendre aux parlementaires les enjeux des projets de lois qu’ils s’apprêtent à voter ou à modifier.

Il n’est pas inutile de rappeler que ce qui fait la particularité de notre discipline, telle qu’elle a été longtemps enseignée et telle qu’elle est encore pratiquée par la plupart d’entre nous, c’est la prise en compte de la personne à la fois dans sa dimension intra subjective et dans sa relation aux autres et à l’environnement social.

La clinique nous enseigne la place centrale de la parole et de l’écoute dans une relation singulière qui exige temps, liberté, indépendance, confidentialité pour que soit possible l’élaboration psychique et la reconstruction.

Notre pratique quotidienne nous dit les effets dévastateurs de toutes les formes de violence, individuelles, institutionnelles, professionnelles, et les effets dévastateurs de l’exclusion.

Cette conception de notre métier, qui suppose une solide connaissance de la psychopathologie et de la dynamique intersubjective, est-elle aujourd’hui dépassée face aux impératifs économiques et normatifs qui nous sont opposés ?

Nous sommes en effet face à un assaut sans précédent de prescriptions, normes, protocoles référés à des principes et critères gestionnaires et sécuritaires.

Ainsi l’obsession de la réduction des coûts fait oublier que l’amélioration de la santé de la population est corrélative du développement de la société, et que les coûts sociaux engendrés par un affaiblissement des conditions du soin sont bien plus importants que la nécessaire croissance des dépenses de santé.

L’obsession de la norme rabote les différences, étouffe la créativité et conduit à l’exclusion, et gagne maintenant le cursus de formations de plus en plus réductrices.

L’obsession de la sécurité rejette et prive de liberté celles et ceux qui précisément se sentent exclus et prisonniers de leur propre souffrance, et laisse le soin au second plan.

L’obsession de la rentabilité conduit à la dégradation de nos conditions d’exercice, puis à la délégation de tâches, et, du côté de patients, à un démantèlement de la solidarité mettant en péril l’accès aux soins.

L’obsession de la bonne gouvernance amène une main-mise d’un pouvoir administratif, elle-même fondée sur l’idéologie de la transparence.

Si l’on ajoute à ce tableau une baisse démographique programmée, un passage insidieux

du conventionnement collectif à des contrats individuels et une réduction de la couverture sociale au profit de l’assurance privée, on aura compris que l’avenir de la psychiatrie n’est radieux ni pour les praticiens ni pour les patients.

Notre position n’est-elle pas de soutenir, pour aujourd’hui et pour demain, la place spécifique de notre discipline, en assurant la primauté de la personne, dans une tension à maintenir entre l’individuel et le collectif, en exigeant un cadre de travail explicite qui préserve la singularité de la relation avec le patient tout en inscrivant clairement notre pratique dans le champ social ?

Développer une psychiatrie humaniste, et former les générations à venir dans cette dimension, n’est-elle pas le meilleur moyen de garantir la société d’une dérive vers une folie collective ?


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