Que peut-on dire à Monsieur Lefrand ?

Hervé Granier
Retour au sommaire - BIPP n° 58 - Janvier 2011
Révision de la loi de 90

 

La loi de 90 sur les soins sans consentement qui jusqu’à présent était assez équilibrée et laissait aux psychiatres toutes leurs responsabilités se révèle à présent dans toute sa dureté. Elle consacre, en effet le pouvoir des préfets qui peuvent imposer le maintien de l’hospitalisation d’un patient contre l’avis des psychiatres qui le prennent en charge (Circulaire Hortefeux).

Un projet de loi se juge non sur la crainte de ses conséquences mais en fonction de ses motivations. Les nôtres sont bien sûrs opposées à celles d’un Gouvernement qui veut renforcer ce qui est déjà particulièrement verrouillé. Les différents rapports préliminaires et l’étude d’impact ont déjà été réalisés. Nous aurons comme d’habitude peu d’influence sur l’écriture de ce projet de loi qui concerne en premier lieu nos confrères de l’hôpital public qui ne l’oublions pas sont en charge des malades difficiles relevant des soins sans consentement.

Puisque nous allons rencontrer le rapporteur de ce projet de loi le député Guy Lefrand, dans le cadre du CASP, nous pourrions proposer quelques recommandations simples et positives sur les soins sans consentement tels qu’ils pourraient se concevoir et sur les structures d’accueil habilitées à les dispenser. Les deux questions sont en effet intimement liées.

Tout d’abord, les soins sans consentement doivent rester sous la responsabilité des psychiatres qui accueillent ces patients et passer sous l’égide du juge des libertés qui peut mettre en place leurs garanties légales. La judiciarisassion me paraît être une étape majeure de la révision de la loi. La France rejoindrait le concert des nations européennes qui ont transféré au pouvoir judiciaire le soin d’encadrer les hospitalisations sous contrainte.

A cette condition et à cette condition seulement nous pourrions alors avancer les propositions suivantes.

1 - Un mode unique de soins sans consentement par la fusion des HO et des HDT consacreraient le caractère uniquement sanitaire de l’hospitalisation sous contrainte et ferait disparaître la référence au trouble de l’ordre public, notion juridique sans consistance mais sur laquelle s’appuie jusqu’à présent la puissance publique. L’entrée dans les soins en HO ou en HDT tient d’avantage au contexte social (isolement, précarité) qu’aux particularités des pathologies mentales à l’exception des infractions pénales.

2 - Le mode d’entrée dans ces soins peut-être multiple suivant les situations et le tiers requis; la famille, le préfet avec les moyens de police ou de gendarmerie ou l’autorité judiciaire (procureur, juridiction de jugement ou chambre d’instruction) ainsi que d’autres intervenants.

3 - L’observation de 72 heures du patient dans un lieu habilité permettrait de mieux discerner les situations et d’éliminer de nombreuses hospitalisations sous contrainte inutiles. L’introduction pendant la première semaine du juge des libertés donnerait un cadre légal pour apprécier la concordance entre les soins et la privation de liberté, à partir de la, un calendrier peut être établi semaine, quinzaine, mois avec bien sûr les certificats à l’appui et les moyens de recours disponibles pour le patient.

4 - Après une hospitalisation sous contrainte le passage à des soins sans consentement ambulatoire me paraît malgré tout une solution envisageable et souhaitable.

Une grande partie des patients sont déjà sous ce régime dans le cadre des sorties d’essais selon les principes de la loi 3211-11 du Code de Santé Publique « afin de favoriser leur guérison leur réadaptation ou leur réinsertion sociale les patients peuvent bénéficier d’aménagement de leurs conditions de traitement ».

Les soins ambulatoires sont, d’ailleurs, demandés par les praticiens publics qui ont depuis longtemps l’expérience de ces situations, mais aussi par les associations de malades ainsi que par certains corps de l’État notamment le contrôleur des lieux de privation de liberté.

Ces soins seraient sûrement préférables aux conditions d’isolement et parfois de contention que subissent certains patients et qui ne peuvent ainsi plus participer aux activités de soins des structures qui les accueillent. Ce type de soins nécessite une véritable équipe médicale et peut répondre aux recommandations du Conseil de l’Europe de 2004 sur ce sujet.

5 - Les sorties doivent relever de l’expertise des psychiatres et de l’avis du juge des liberté. Simple certificat médical dans le cadre civil, double expertise concordante dans le cadre juridique des infractions pénales. Les collèges de professionnels pour retarder ou rendre impossibles les sorties de patients dangereux et/ou relevant de l’article 122 du Code Pénal n’ont pas lieu d’être. Pour ces patients, il faudrait, par ailleurs, réduire les incohérences de la loi et porter la même attention aux sorties d’essais et aux sorties définitives.

Ce sont là des lignes générales qui pourraient être indiquées au rapporteur du projet de loi. Certes il faudra préciser encore certains aspects et défendre la construction de structures de soins adaptés dont la sécurité serait assumée par des soignants et non par des agents pénitentiaires sur le modèle des unités pour malades difficiles dont le nombre est encore insuffisant. La qualité de ces structures est indissociable de l’efficacité thérapeutique de la loi. Des moyens supplémentaires doivent accompagner l’augmentation de la charge juridique.

Nous n'avons sûrement rien à attendre du Gouvernement présent. Nous verrons si notre représentation nationale encouragée par les récentes décisions du Conseil Constitutionnel peut saisir l'opportunité de rétablir plus de justice et d'attention pour ces patients aussi difficiles que démunis. Ce serait pourtant la moindre des choses pour une nation qui a inventé la psychiatrie ! 


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