La télépsychiatrie en question
Madame Bachelot a annoncé par un décret en octobre 2010, la mise en place de la télémédecine.
Le jeudi 31 mars, plus d'un millier de professionnels de la santé étaient réunis à Paris, au ministère de la santé et en vidéoconférence avec plusieurs grandes villes de Province, sous le haut patronage du ministre Xavier Bertrand, pour la journée internationale de la télémédecine, journée portée par le leitmotiv « Pour une meilleure efficacité de la chaîne des soins, unissons nos compétences et nos actions ». La télésanté consiste, selon la mission parlementaire en « l'utilisation des outils de production, de transmission, de gestion et de partage d'informations numérisées au bénéfice des pratiques tant médicales que médico-sociales ».
La télémédecine (ou consultation par webcam) est un des rouages de la restructuration du système de soins répondant aux difficultés actuelles : pénurie du personnel médical, demande exponentielle, augmentation des maladies chroniques, problèmes sociaux et vieillissement de la population. Elle se présente comme une médecine innovante, adaptée à la situation de crise, et s'appuie sur l'expérience de pays étrangers, Portugal, Canada et Etats Unis. Son usage est facilité par la démocratisation d'Internet et l'accessibilité depuis déjà plusieurs années à divers sites proposant un auto diagnostic et une orientation thérapeutique.
Des expériences de télésanté ont déjà été menées dans le secteur de la psychiatrie notamment infantojuvénile. (Dans les faits depuis 2006, des téléconsultations pédopsychiatriques sont mises en place, en raison de l'éloignement et de l'isolement de certaines populations insulaires. De même, dans quelques maisons de retraite, en raison d'un taux évalué à 50% d'état dépressifs majeurs chez les personnes âgées accueillies, la téléconsultation est apparue comme une solution permettant la prescription d'un traitement chimio-thérapeutique à distance).
L'argument de l'efficacité de cette pratique télévisuelle est simple : l'image et le son suffisent à réaliser un entretien dans les conditions d'usage. La rapidité d'intervention et la disponibilité du médecin spécialiste connecté est une valeur ajoutée au service proposé.
Face aux difficultés actuelles du système de soins dans ses modalités classiques, peut-on envisager que la télémédecine aussi séduisante soit-elle en constitue une réponse ?
Dans cette logique, le soin apparaît comme un produit pris dans le circuit de la consommation, des flux comptables et gestionnaires, soumis aux seuls critères d'évaluation de son efficacité et de sa rentabilité. Ainsi, le symptôme du patient n'est plus perçu comme une plainte ou une souffrance avec une adresse mais comme un trouble qu'il conviendrait de réduire. Le principe sur lequel se fonde la télémédecine repose sur l'idée d'une adéquation entre un trouble, objectivé par les grilles et les échelles diagnostiques et la réponse thérapeutique univoque et randomisée. Si la télémédecine, réduisant le patient à une image sonore, instrumentalise le corps et le limite à un ensemble d'organes et de fonctions, quelle place peut encore avoir l'espace psychique, quand le sujet est réduit à un objet d'observation, le regard clinique à une objectivation ? Cette nouvelle modalité de soin réduit la parole à la communication sans prendre en compte que le verbe s'est fait chair. La télémédecine s'inscrit dans la logique de la prétention du savoir scientifique qui pourrait répondre de tout. La relation médecin/malade fondamentalement asymétrique en est annulée, limitée à un pur échange de service. Le corps disparaît au profit de l'image dans notre culture virtuelle contemporaine. Sans référence ni présence tierce, le sujet est réduit à une individualité isolée. La symétrisation de la relation, c'est-à-dire l'absence d'un tiers, a un coût : celui de la culpabilisation du patient, tenu pour responsable de son corps et de ses dysfonctionnements, et en retour, celui de son droit à être réparé.
La télémédecine s'accorde avec l'engouement actuel pour le virtuel et l'omniprésence de l'image, et se soumet aux injonctions sociales d'une réponse immédiate et interactive. La relation traditionnelle médecin/malade est une rencontre, où le thérapeute offre sa présence qui l'engage. Elle est une alliance singulière mais néanmoins inscrite dans le champ social. La consultation télévisuelle à cause de l'interface de la toile, ne risque-t-elle pas de provoquer un isolement du sujet et le couper du lien social ? Pour tout sujet de tout âge, la consultation est un espace intime, qui confirme son humanité et respecte sa pudeur. Malgré la maîtrise de la technologie, peut-on vraiment garantir au patient la confidentialité d'un entretien télévisuel ? Au-delà des dérives paranoïaques de certains, Internet reste dans l'imaginaire de chacun, un espace public.
Le psychiatre comme le médecin doit conserver un espace privé de confidentialité, seule garantie de la relation thérapeutique. La télémédecine s'inscrit et confirme la tendance contemporaine à fonder de nouvelles modalités du lien social. Sans présence physique contenante, n'y a-t-il pas un risque de déchaînement de la violence dans l'espace privé et/ou social ?