Pardon, ai-je bien entendu soins sans consentement ?

William Markson
Retour au sommaire - BIPP n° 59 - Juin 2011

Le citoyen est en droit d'attendre des gouvernants, sinon l'utopie, au moins un certain soin accordé au discours, ce qui est l'essentiel de ce qu'ils produisent. De même, on attendra des psychiatres le pointage des éventuels propos qui n'auraient pas été léchés par la langue de bois. Or, en jouant les apprentis sorciers du signifiant, nos fonctionnaires de la Santé ont réussi à fabriquer, sans doute à leur insu, un oxymoron explosif, les soins sans consentement.

En 1838 il y avait le placement volontaire, douce antiphrase permettant d'hospitaliser quelqu'un contre son gré, dans des conditions empêchant l'internement arbitraire, afin de le soigner. Comme il se doit dans un texte de loi, le signifié était clair, du moins pour le législateur et le psychiatre, sinon pour l'intéressé. De plus, ce texte avait pour référent concret la construction d'hôpitaux pour soigner les personnes placées. La Loi de 38 eut une longévité remarquable. En 1990, l'appellation fut remplacée par celle d'hospitalisation sur demande d'un tiers, ce qui aplatit la figure de rhétorique en promouvant ce tiers, qui était déjà essentiel au dispositif. Le placement d'office (intervention du tiers état pour ainsi dire) devint hospitalisation d'office.

Ensuite, les conditions de l'hospitalisation se dégradent, les lits manquent, les psychiatres aussi. Au lieu de s'attaquer aux causes de ce problème bien réel, ce qui risque d'être fastidieux et peu gratifiant, nos gouvernants ont une idée simple : passer dans le monde virtuel et substituer soins à hospitalisation. Les deux formes d'internement étant condensées, cela donne soins sans consentement.

Le « Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge », dans lequel on s'aperçoit qu'il ne s'agit que de soins faisant suite à un internement, comme s'il n'y en avait pas d'autres,

Pardon, ai-je bien entendu soins sans consentement ? instaure un véritable régime de soins sans consentement. Qu'est-ce que cela signifie ? Jusqu'à présent, on peut contraindre quelqu'un à être hospitalisé si c'est nécessaire pour être correctement soigné. Si les soins lui sont bénéfiques, son consentement sera acquis. Dans ce nouveau régime conçu pour durer, au contraire, les soins seront imposés à quelqu'un qui par définition « n'est pas à même de consentir du fait de ses troubles mentaux » ce qui implique un rapport d'opposition voire de négation de la position subjective du patient. Ce régime répressif n'est rien de moins que l'annulation de tous les progrès faits en psychiatrie depuis Pinel.

À chacun d'interroger sa propre expérience clinique. Si le malade est en pleine bouffée délirante il n'est certes pas à même de consentir formellement, mais il acceptera le traitement donné avec soin. On peut s'appuyer sur l'ambivalence du schizophrène ou la sympathie du maniaque pour les soigner. Mais le psychiatre n'est pas tout-puissant. Dans le cas du malade qui a fait la preuve de sa dangerosité et qui refuse violemment tout traitement, on peut être réduit à le maintenir hors d'état de nuire sans pouvoir vraiment le soigner. Ce type de cas qui relève du fait divers ne doit pas servir de modèle pour la généralisation de soins sans consentement, ce qui ne serait qu'un simulacre de soins fait pour cacher une volonté répressive.

Lors de l'examen du projet de loi par le Sénat, Mme Muguette Dini a voulu supprimer cette terminologie, mais elle fut malheureusement désavouée dans un revirement de sa commission. Notre confrère Jean- Louis Lorrain, qui l'a remplacée comme rapporteur, n'a pas caché que cette expression le faisait bondir. Nombre de parlementaires de gauche et du centre ont été sensibilisés au message sécuritaire de la loi, grâce aux interventions du Groupe des 39, sans lesquelles la loi serait passée comme une lettre à la poste.

Dans un souci de clarté légaliste, ou pour appeler un chat un chat, je propose de remplacer soins sans consentement par soins psychiatriques sous contrôle administratif et judiciaire. Cela fera un tabac dans la presse. Plus personne ne voudra être soigné par un psychiatre, ce qui fera des économies à la Sécurité sociale. Les déviants de tout poil seront sommés, non pas de se soigner, mais de se faire soigner. Opération de communication sans frais pour le gouvernement, dont le public saisira mieux les orientations. Beaucoup moins cher que de multiplier les radars cachés pour retirer le permis au maximum de citoyens, lesquels pourront toujours provoquer des accidents, sécurisés de savoir qu'ils n'ont plus rien à perdre.

Ou bien, à jouer du signifiant, le gouvernement pourrait se lancer dans le surréalisme et inventer, à l'instar de Raymond Queneau, Cent mille milliards de politiques de santé.

Sinon, il ferait bien de réécrire le projet de loi, cette fois-ci avec l'aide d'un psychiatre.


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