Psychiatre et statut de psychothérapeute. Une si petite lettre

Paul Lacaze
Retour au sommaire - BIPP n° 59 - Juin 2011

Le 17 mars 2011, une circulaire du Conseil de l'Ordre des Médecins de l'Hérault est adressée aux psychiatres libéraux du Département en relais d'une lettre de l'Agence Régionale de Santé précisant que « les praticiens qui veulent faire état de leur titre de psychothérapeute (sous l'en-tête de leur qualification de psychiatrie) doivent être inscrits sur le registre départemental des psychothérapeutes tenu par l'ARS ».

L'une de nos consoeurs de Montpellier, adhérente à l'AFPEP-SNPP, a posé la question de savoir s'il valait mieux y donner suite ou non au risque, soit de se retrouver en infraction, soit de voir se profiler une division au sein de la profession, entre « psychiatres psychothérapeutes » et « psychiatres non psychothérapeutes ». Le Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins de l'Hérault lui a répondu : « Il est très difficile de préjuger de l'avenir. La seule chose que nous puissions vous affirmer c'est que dans l'état actuel des textes, rien ne s'oppose à ce qu'un médecin psychiatre, dans le cadre de son activité, accomplisse des actes de psychothérapie ».

Les réactions des confrères, au plan local comme au plan national, tant à l'AFPEP-SNPP qu'à la FFP (Fédération Française de Psychiatrie) n'ont pas tardé qui, dans leur quasi-unanimité, pressentent comme une incitation à la mise en valeur (au sens du capital) d'une dénomination spécifique d'un métier de "psychothérapeute" au service de techniques et protocoles si souvent désincarnés du contexte de la souffrance psychique.

De la valeur de notre métier, de son autorité et de son éthique

Rappelons au passage que nul psychiatre n'est forcé d'apposer sur sa plaque la qualification de "psychothérapeute" puisqu'il l'est de fait par sa formation et sa pratique intrinsèque. Sauf à s'accrocher à certains effets narcissiques...

En outre nul n'est besoin de justifier tel ou tel acte comme étant un acte de "psychothérapie" puisqu'il est, officiellement et conventionnellement, implicite dans toute consultation cotée en CNPSY ou CPSY, c'est-à-dire dans une consultation pour "soins neuropsychiques" au sens générique de notre métier (d'où l'intérêt syndical de bien soutenir la pérennité de cette cotation en "Acte unique" pour la psychiatrie !). Dans sa diversité et sa complexité, pour être opératoire et thérapeutique la prescription en psychiatrie est psychothérapie. La position adoptée depuis fort longtemps par l'AFPEP-SNPP, à propos du registre des psychothérapeutes, est très claire : NUL BESOIN DE SE FAIRE ENREGISTRER puisque un psychiatre, dont le métier repose sur une formation pour une mise en pratique des soins du psychisme, est psychothérapeute de fait ! Tout compromis ouvrirait aussitôt la voie à la création de "spécialités en techniques de psychothérapies" avec un éclatement du CPSY sous couvert, par exemple, de la création de la future CCAM clinique. Même à considérer, comme le suggère la FFP, qu'il appartiendrait au préfet d'inscrire systématiquement les psychiatres dans ce registre constituerait déjà une forme d'acceptation dudit registre par notre profession.

Militer pour une profession unique, un réel enjeu

Souvenons-nous, à titre d'exemple, des tracasseries qu'a entraînées la création de la spécialisation en "pédopsychiatre" alors que c'est une partie intégrante de notre formation et de notre pratique de "psychiatre" en exercice privé (sauf à se confondre avec l'exercice public en CHU). Observons également que cette mesure tombe au moment où il devient de la compétence des pharmaciens de renouveler certaines ordonnances... Ceci venant dans un contexte d'assurance privée arrivant pour prendre le relais des organismes de santé...

Derrière toute cette affaire on aura bien compris que l'enjeu, pour nos décideurs technocrates et politiques, est de tenter de fractionner notre "acte unique" déjà bien mis à mal par la coordination des soins pour en déléguer une partie d'exécution (la psychothérapie étant considérée ici comme une technique à déléguer) aux professions paramédicales, à des tarifs... d'exécution.

En outre, face à la prétendue évaluation de nos pratiques, référence permanente en cette période où l'évaluation prévaut sur tout autre discours, ne risquons-nous pas fortement d'aggraver l'opposition entre les pratiques analytiques ou d'inspiration analytique jugées bien évidemment trop coûteuses inefficaces et inutiles, et les pratiques cognitivo-comportementalistes jugées peu coûteuses, efficaces et facilement réalisables ?

L'éventuelle scission risquerait de passer aussi par là et le pouvoir politique et économique aurait donc vite fait son choix... De même à propos de la chimiothérapie, à laquelle sont surtout formés nos jeunes confrères, qui bientôt risque de devenir la norme dans le champ psychiatrique...

La neuropsychiatrie a été scindée en neurologie et psychiatrie... Où donc passera la prochaine scission et où seront "localisés" les psychiatres psychothérapeutes ?

S'il est vrai que ce décret réglementant le statut des psychothérapeutes, derrière sa pieuse intention d'être "anti-secte", n'est qu'une manière de diviser, par la loi, la profession des psychiatres (et des psychologues cliniciens) pour des motifs économiques - et idéologiques - alors, raison de plus pour ne pas se laisser entraîner dans ces rouages. Le risque serait bien plus grand de nous retrouver réduits à des rôles d'experts en diagnostics et prescripteurs en chimiothérapie, autrement dit réduits à être pseudo psychiatres "à la botte" !

Quel soutien de l'AFPEP-SNPP ?

L'utilisation du terme « psychothérapie », s'il devenait une « marque déposée » à inscrire sur liste, peut avoir d'éventuelles retombées juridiques. Effectivement au delà d'une position de principe la réponse n'apparaît pas simple en pratique pour les psychiatres.

Refuser de s'inscrire en courant le risque d'être ensuite poursuivi (face à un patient revendicateur, par exemple) du fait de l'utilisation du mot « psychothérapie » ? Ou devoir secondairement faire la preuve d'une formation ad hoc... mais ensuite ? Ou bien, à l'inverse, proposer une inscription collective de fait (sans démarche personnelle) sur la liste en tant qu'espace symbolique et public qui définit de fait qui n'y est pas inscrit ?

L'AFPEP-SNPP a adopté la position suivante : envoyer une lettre-type à chaque psychiatre adhérent à l'intention du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins dont il dépend ; envoyer une lettre syndicale collective au Président du Conseil National de l'Ordre des médecins. Ces courriers, que l'on pourra lire par ailleurs, sont rédigés sur les bases historiques de notre organisation professionnelle.

Notre métier est avant tout un acte clinique de nature neuropsychique incluant toutes les approches les plus appropriées pour chaque patient. Notre profession est UNE dans son exercice privé (libéral de cabinet, institutionnel sanitaire et médico-social, ou mixte) et indivisible du fait de la qualité des soins proposés qui ne relèvent que du contrat tacite entre le praticien, selon sa formation personnelle, et le patient, dans sa singularité. Notre adhésion à une solidarité conventionnelle doit se renforcer sur la base de la consubstantialité de nos différentes approches cliniques et thérapeutiques.

Nous considérons que les psychiatres, formés et qualifiés pour tous les actes concourant au bien-être psychique des patients, donc psychothérapeutes de fait, sont de facto inscrits dans cet espace symbolique et public des psychothérapeutes.

Pour ne pas prendre le risque de devenir de purs produits d'une politique gestionnaire, notre unité professionnelle, scientifique et syndicale, s'impose plus que jamais.


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