Révision de la CIM-10. Résultats de l’enquête réalisée auprès des psychiatres
L'Organisation mondiale de la santé prépare actuellement la onzième version de sa "Classification statistique internationale des maladies et problèmes de santé associés". Pour la révision de son Chapitre V : Troubles mentaux et comportementaux, l'OMS s'est associée à la World Psychiatric Association pour y impliquer les psychiatres du monde entier afin de produire une nouvelle classification qui serait le plus utile possible aux cliniciens. Cette collaboration se déroule en six étapes, selon un protocole parfaitement structuré.
En tant que membre de la WPA, l'AFPEP fut sollicitée pour participer à ce processus. Nous y avons répondu positivement, comme Antoine Besse l'a expliqué dans un précédent article (BIPP n°58 de janvier 2011), car les enjeux sont de taille. Tout en étant attachés au colloque singulier, à une psychiatrie centrée sur la personne, on ne peut ignorer l'importance de l'entourage, de la cité, de l'État (difficile à ignorer ces temps-ci) et maintenant de la mondialisation.
La première étape consistait en une "enquête systématique et mondiale sur les expériences et attitudes des psychiatres vis-à-vis de la CIM-10 et d'autres systèmes de classification". Quarante-six sociétés savantes de tous les continents, représentant 4 887 psychiatres, y ont participé, dont deux françaises, l'AFPEP et la Société de l'Information Psychiatrique.
Exception française
Il est intéressant de noter que si la CIM-10 est quasi inexistante aux USA, DSM oblige, elle prédomine largement dans le reste du monde, utilisée par 70 % des psychiatres. Traduite en 19 langues, l'enquête a suscité davantage de réponses dans les pays pauvres que riches.
Le taux de réponse des adhérents AFPEP est de 23 %, égal à celui de la SIP et proche de la moyenne européenne (24 %) et mondiale (26 %). Mais ensuite se dessine une sorte d'exception française. À 59 ans, nous sommes les plus âgés, ex aequo avec les Américains. Avec 27 ans d'expérience professionnelle, nous sommes les doyens du monde, devant les Japonais. Nous passons le plus de temps auprès des patients, 38 heures par semaine, devant les Polonais.
Cela devrait nous conférer quelque crédibilité. Et puis ceci : nous ne sommes que 14 % à utiliser régulièrement dans notre travail une classification formelle, CIM-10 ou autre. C'est très loin de tous les autres groupes ; les adhérents de la SIP et les Italiens sont à 64 % et le reste du monde au-dessus. Ceci peut s'expliquer par le fait que l'Assurance Maladie française ne demande pas systématiquement aux psychiatres libéraux un diagnostic formel, comme c'est le cas pour les hospitaliers et beaucoup de confrères du monde qui ont affaire aux assurances privées. Ou bien, c'est que nous avons d'autres repères pour orienter notre travail ; voire le signe d'une défiance visà- vis de ces classifications en forme de catalogue.
À quoi sert un système de classification ? À communiquer entre cliniciens, puis pour orienter la thérapeutique, de l'avis de la majorité des psychiatres du monde. Pour nous, c'est autant pour communiquer entre cliniciens que pour établir des statistiques nationales ; serions-nous désabusés ? Quels sont les diagnostics le plus souvent posés ? Les différences entre nos réponses et la moyenne mondiale figurent dans le tableau ci-dessous :
Rang AFPEP Monde
1 F41.2 Trouble mixte anxio-dépressif F32 Épisode dépressif
2 F32 Épisode dépressif F20 Schizophrénie
3 F33 Dépression récurrente F31 Trouble bipolaire
4 F60.31 Personnalité borderline F41.2 Trouble mixte anxio-dépressif
5 F20 Schizophrénie F33 Dépression récurrente
6 F31 Trouble bipolaire F41.1 Anxiété généralisée
7 F41.1 Anxiété généralisée F43.2 Trouble de l'adaptation
8 F22 Délire chronique F10 Troubles dus à l'alcoolisme
9 F42 Trouble obsessionnel compulsif F41.0 Trouble panique
10 F51 Trouble du sommeil non organique F60.31 Personnalité borderline
Que souhaitent les psychiatres d'une nouvelle classification ? Pour la majorité, une classification plus simple, avec moins de catégories, transculturelle, utile cliniquement, plutôt qu'un outil de recherche aux critères stricts. Dans plusieurs pays toutefois, dont la France, une minorité significative souhaite une classification nationale tenant compte de la culture du pays. Un article détaillé sur cette enquête, par Reed et coll. se trouve dans World Psychiatry 2011 ; 10 : 118-131.
Suite... et fin ?
La deuxième étape du processus de révision doit aboutir à la formulation de propositions concrètes de modification de la CIM-10. Ces propositions devront être étayées scientifiquement ou par consensus lors d'une série de réunions menées par un groupe de travail connaissant parfaitement le sujet. Cela nécessiterait un effort considérable et bénévole car l'OMS n'a pas de quoi le financer.
Ce serait une possibilité de marquer des points contre le DSM. Toutefois, les adhérents AFPEP utilisant peu les classifications formelles et en particulier la CIM-10, prolonger notre participation paraîtrait inopportun.
Par ailleurs, la lutte continue contre le DSM, véritable démantèlement de la pensée clinique, où les catégories ont la légèreté du simulacre, symptôme d'une société de consommation où la valeur d'échange supplante la valeur d'usage, pour les diagnostics comme pour les médicaments.