Loi du 5 juillet 2011 réformant la loi de 1990. Le SNPP crée une cellule de veille sanitaire

Elie Winter
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Nous avons lutté, et il va falloir continuer !

Le SNPP seul, et en association avec les autres syndicats de psychiatres réunis au CASP. Nous n'étions pas tous d'accord sur tout, le débat a été vif au sein du SNPP, et entre les syndicats. Il faut dire que ce n'est pas une petite affaire de réformer la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte.

Mais c'était un dialogue de sourd face à un ministère et une majorité parlementaire d'une mauvaise foi effarante. Oui ils ont cédé sur pas mal de choses, très significatives. Mais pour en faire quoi ?

Car l'intervention d'un juge des libertés et de la détention (JLD) était bien une demande de certains syndicats de psychiatres, et d'associations d'usagers. Mais personne n'avait pour autant demandé de transformer l'accueil de la personne souffrante en parcours du combattant administrativo judiciaire. Le nouveau souci permanent, dans tous les services de secteur est de respecter la procédure, les certificats en temps et en heure (y compris lors des week-ends prolongés avec jours fériés). Deux certificats à l'entrée, le 3e à 24h, le 4e à 72h, le 5e entre j5 et j8 pour prévenir le juge, puis organiser la rencontre du patient et du JLD, qui peut demander des expertises supplémentaires... Ceci pour ne parler que des cas « classiques » de soins à la demande d'un tiers pour un patient sans antécédent de passage en UMD et n'ayant jamais eu à bénéficier d'un non-lieu pour irresponsabilité pénale durant les dix dernières années.

Et LA question qui anime tous les services, ce n'est plus d'abord « comment soigner » mais « est-ce le patient ou le juge qui se déplacera ? » (la vidéoconférence étant généralement récusée de principe). Vaut-il mieux sacrifier l'indépendance de la justice (qui statue normalement dans un tribunal qui se veut être un espace neutre) ou bien sacrifier les conditions minimales d'accueil, de sécurité (comment transporter un patient dont l'état psychique est tel qu'une hospitalisation sous contrainte a été nécessaire ?).

Alors, dans certains endroits, juge et patient restent chacun chez eux, et l'audience se fait au tribunal sans le principal intéressé, représenté par un avocat, commis d'office.

Le juge ne prend pas systématiquement la décision du huis clos, le secret médical est ainsi largement diffusé « en audience publique », devant les malfrats de tout poil qui attendent leur tour.

Et au final, le juge « libère » parfois des patients. Le plus souvent pour une erreur dans un certificat, un problème de date... parfois par vrai désaccord de fond sans pouvoir apporter de réponse à des situations toujours délicates.

Au fait, rappelons-nous, pourquoi cette idée de faire intervenir un juge ? sans doute pour éviter d'éventuelles privations de liberté abusives ? Mais dans la loi, ce n'est qu'au 15e jour que le patient voit le juge... permettant ainsi toute dérive, tout abus, par exemple en organisant des hospitalisations séquentielles de 14 jours maximum. Il n'est même pas nécessaire alors de faire sortir le patient qui peut être placé en hôpital de jour pour une journée, ou juste quelques heures. Et là, aucun juge n'est jamais au courant tant que le patient ne demande pas de lui-même de recours.

Bref, l'alibi du contrôle du juge anti-hospitalisation abusive n'est réellement pas la principale motivation de la loi. Morcellement du temps soignant, démarches administratives supplémentaires, ne sont même pas justifiées par une meilleure défense des libertés individuelles. Et il faudra bien examiner le sort des patients « libérés » par les JLD : protégés contre une privation de liberté abusive, ou rupture de soin pour raison administrative ?

Non l'instauration du JLD a tout d'un alibi pour une politique sécuritaire. Cette « judiciarisation » bâclée a surtout été le moyen d'imposer à la communauté psychiatrique un projet de loi qui ne se préoccupait pas du tout des libertés individuelles, issu du discours du président à Antony en décembre 2008, et qui ne proposait que des mesures répressives contre les malades mentaux à surveiller et punir... C'est tout cet aspect-là de la loi qui a été le mieux travaillé. Pas la mise en place du juge.

La loi permet donc désormais un « soin à la demande d'un tiers » (SDT) ou un « soin à la demande du représentant de l'Etat » (SDRE). Ce n'est plus l'hospitalisation qui est sous contrainte, mais le soin, à l'hôpital puis en suivi ambulatoire. Ce n'est plus la logique d'une contrainte qui dure le moins longtemps possible à l'hôpital, mais au contraire une contrainte dans la durée, à vie pourquoi pas, dans et hors de l'hôpital. Et pour le suivi ambulatoire, aucun juge n'intervient puisque ce n'est pas une privation de liberté mais plutôt une restriction... Pourtant, pour l'application de l'article 122-1 sur la responsabilité pénale, le passage de « l'abolition » à « l'altération » du discernement fait passer le malade du non-lieu à la peine aggravée (alors que l'esprit initial du code pénal était de passer du non-lieu à la peine atténuée). Et bien quand on passe de la privation à la restriction de liberté, on n'a plus besoin de juge pour contrôler le bien-fondé de cette restriction ! Pour le dire plus simplement, c'est toujours le choix du pire.

Nous voilà donc, nous psychiatres, pris dans un discours qui peut vite paraître contradictoire, à nous plaindre d'un côté des modalités d'intervention du juge, de l'autre qu'il n'intervienne que pour l'hospitalisation et pas sur l'intégralité du soin sous contrainte. Cette contradiction n'est qu'apparente : Les modalités d'intervention du juge doivent être simplifiées et rendues plus cohérentes. Beaucoup de questions sur les modalités n'ont pas du tout été abordées : intervention dès le début du soin sous contrainte, à titre systématique, mais sur dossier, avec réexamen pour toute ré hospitalisation, mais contrôle aussi pour les soins ambulatoires sous contrainte, respect du secret médical, pourquoi pas organisation d'une salle d'audience dans les hôpitaux avec un statut d'annexe du tribunal ?

Et qu'on ne s'extasie pas sur les prochains chiffres que ne manquera pas de publier le ministère de la santé : il est probable que le nombre d'hospitalisations sous contrainte a fortement baissé au 1er août 2011, date d'entrée en vigueur de la loi. Les psychiatres ont tout fait pour éviter de devoir organiser en plein mois d'août des audiences judiciaires inquiétantes et non préparées. Ce chiffre ne dit pas comment s'est passé le mois d'août pour ces patients. Ce chiffre ne dit rien de la qualité du soin. Et surtout ce chiffre ne dit rien de la quantité de soins ambulatoires sous contrainte et sans contrôle judiciaire. Les patients en question n'ont pas été « guéris » tous ce jour-là, et aucun moyen supplémentaire n'a permis une amélioration des conditions du soin.

Reste une grande question pour les psychiatres libéraux et salariés privés : pourrions-nous être concernés par ces soins ambulatoires sous contrainte ? La position syndicale du SNPP est claire : NON ! La pratique individuelle nous jouera pourtant des tours : que faire si un patient qu'on suit depuis longtemps sort d'une hospitalisation avec un « protocole de soins ambulatoires », et qui demande à continuer le suivi en libéral ? Le SNPP a déjà prévu des réponses possibles, mais l'essentiel, c'est que vous tous, lecteurs et adhérents du BIPP, ne devez pas hésiter à nous adresser vos témoignages sur ces pratiques nouvelles, les conflits d'intérêt auxquels vous serez confrontés, ou les bonnes surprises et côtés positifs à renforcer, etc. C'est de ce travail que le SNPP doit désormais se saisir pour rester en contact avec ses adhérents et faire évoluer la loi dans le sens de vos attentes. Nous constituons donc une CELLULE DE VEILLE SANITAIRE DE LA LOI, et vous pouvez nous écrire pour ça à info@afpep-snpp.org

La lutte syndicale et intersyndicale continue donc : le gouvernement ne pourra pas se reposer après une loi aussi déséquilibrée et qui nuit autant aux soins en monopolisant l'attention des soignants sur des préoccupations de forme. La crise psychotique est un moment où le psychiatre doit avant tout être disponible pour le travail clinique.


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