L’AFPEP au Congrès Mondial de la WPA de Buenos Aires

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 60 - Décembre 2011
18-22 septembre 2011

Tous les trois ans, la WPA organise son congrès mondial. Elle y tient son Assemblée Générale réunissant les représentants de ses associations nationales, afin de rendre compte de son trienum et d'élire la moitié de son bureau (mandats de 6 ans) et son président élu, ainsi que ses représentants des 18 régions du monde.

Parallèlement, ses sections spécialisées tiennent leur réunion pour élire leurs responsables. Comme je vous l'avais déjà expliqué depuis le congrès mondial de Prague en 2008, l'AFPEP, la SIP et l'AFP, principales associations françaises membres de la WPA s'étaient unies pour que la représentation française parle d'une seule voix et vote de façon concertée dans les instances comme l'A.G. Cette année ce fut un degré de plus, nos votes étant tous portés sur les mêmes candidats, soit près de 40 voix (identiques en nombre à celles des USA ou du Canada) et ceci fut bien repéré par nos collègues des autres pays.

Lors des élections à l'AG, nos votes unis ont permis l'élection de candidats susceptibles de soutenir nos valeurs « au mieux » ; ce qui ne veut pas dire que nous soyons satisfaits après un trienium d'opposition. Il s'agit pour nous de maintenir une résistance faite d'alliances et de ruptures. La majorité, qui depuis Prague a repris le pouvoir au sein des instances de la WPA est certes éloignée de nos conceptions d'une psychiatrie clinique.

Cette psychiatrie « technologique » hégémonique tendue vers une scientificité médicale, comme le président sortant Mario Maj le voulait, pas toujours compatible avec notre perspective anthropologique. L'hégémonie de ces courants que nous combattons en Europe ou en France s'explique par sa forte représentation au sein de l'université, le contrôle de l'accès aux revues scientifiques à comité de lecture et avec fort « impact factor » , très soutenus par l'industrie pharmaceutique . Ceci reste considérable et peut paraître à beaucoup comme un véritable rouleau compresseur.

Cette fois-ci, la bataille qui nous oppose à ces courants a vu le rapport des forces se rééquilibrer grâce à la dénonciation de conflits d'intérêts de plus en plus nombreux dans plusieurs domaines, comme celui de l'élaboration du DSM5, et celui de la recherche psychopharmacologique.

Que penser du fait que le Programme Institutionnel pour une Psychiatrie centrée sur la Personne développé à la WPA sous la présidence de J. Mezzich et voté à l'A.G. de Prague de 2008, ait été abandonné par l'actuelle direction de la WPA ?

Ce programme a du se développer au sein d'un réseau international élargi à la Médecine centrée sur la Personne soutenu par une partie de l‘OMS et pourvu depuis mai 2011 d'une revue internationale. Ce réseau international compte, entre autre, l'association mondiale des médecins de famille, plusieurs fédérations internationales de psychiatres, d'infirmiers et travailleurs sociaux et de représentants de patients et des familles comme l'EUFAMI (Fédération Européenne dont l'UNAFAM est membre).

Au même moment, aux Etats-Unis, se développe une controverse sur le futur DSM5 prévu pour sortir en 2013, rejoint par les créateurs du DSM2 et 3 comme Allen Frances, Christopher Lane et d'autres, avec la publication à New York d'un manifeste rédigé par plusieurs associations de psychologues américains et soumis à pétition en ligne.

En France, c'est un Manifeste STOP DSM qui est produit par un ensemble de psychiatres psychanalystes (présenté à Paris le 5 novembre 2011).

Le mouvement du « recovery » enfin permet de découvrir de nouvelles données scientifiques sur l'évolution favorable d'un quart des patients psychotiques déclarés malades pour toute leur vie.

Enfin, les mouvements de patients et leur famille dans le monde entier, prennent une part grandissante dans ces courants, en faveur d'une psychiatrie humaniste où se retrouvent les valeurs de cette psychiatrie intégrative.

L'OMS a changé et a dû s'ouvrir à d'autres acteurs du soin, sans toutefois pouvoir se dégager des alliances avec la WPA, qui reste l'ONG la plus écoutée encore actuellement, mais plus exclusivement. Est-ce que cette hégémonie va pouvoir un jour cesser ?

Nous l'espérons, par notre présence agissante et critique au sein des sections de la WPA et par un rééquilibrage européen (qui compte 50 000 psychiatres, soit la moitié des psychiatres mondiaux) ébauchés par nous depuis 2008 (congrès européen WPA de Paris) et qui a été suivi d'un chantier de création d'une fédération européenne des associations psychiatriques nationales (FPP pour la France) en voie d'achèvement. Une fois exposée cette contextualisation en pleine évolution, l'union des représentants français au niveau mondial (WPA) et européen continue de servir notre stratégie.

Nous avons donc soutenu des candidats pouvant aider nos forces en France et en Europe face à des directives étatiques toujours plus tatillonnes concernant notre outil de travail (le libre accès au soin, l'acte unique pour les privés et le secteur pour les publics).

Ce Congrès mondial WPA de Buenos Aires a réuni 14 000 psychiatres venus du monde entier. Le coût élevé du voyage a empêché les pays émergents et beaucoup d'européens d'y assister. L'affluence venait des deux Amériques et d'Australie ce qui a mis en difficulté certaines sections, comme celle de psychiatrie de l'enfant au moment du renouvellement de leurs instances au profit d'un courant nord-américain à nos dépens.

Lors de la conférence inaugurale, Mario Maj a fait un bilan de son trienum sans laisser parler les collègues de son « board » ou même les Argentins co-organisateurs. Il a mis l'accent sur l'enquête sur la CIM 10, l'impact factor de la revue de la WPA qui la place à un niveau élevé si l'on valorise cet aspect de la discipline.

Le prix Jean Delay a été attribué à l'américain K.S. Kendler dont la conférence a laissé passer un début d'équilibre entre la psychiatrie psychogénétique (clinique) et la psychiatrie mécaniciste. Nous n'y avons pas vu une vision intégrative(1) de la psychiatrie. Seules dans les ateliers et symposia des sections auxquels nous sommes engagées s'y trouvaient développé les points d'apports qui ont progressivement construit la psychiatrie clinique ou intégrative. Ces sections où nous sommes membres actifs sont : Psychanalyse en Psychiatrie, Périnatalité, Classification, Psychiatrie de l'enfant, transculturelle, littérature en Psychiatrie, Suicidologie.

Certes la majorité des symposia allaient encore du côté de ces courants hégémoniques avec sa « sémiologie de syndromes atomisés, sans liens entre eux, mais répondeurs à telle ou telle forme de traitement ».

Actuellement, le nouveau président de la WPA, l'américain Pédro Ruiz incarne ce courant technologique. Nous comptons sur la présence au sein de son « board » de collègues proches de nos conceptions de la psychiatrie et que nous avons contribué à faire élire. Nous verrons dans les trois ans à venir comment notre engagement prépare le futur trienum du président élu, Dinesh Bhugra ancien président du Royal College britanique de Psychiatrie.

En marge du congrès WPA, la rencontre des psychiatres-psychanalystes argentins dans leurs lieux d'échanges à Buenos Aires, fut pour moi une grande joie ; leur ouverture d'esprit et leur grande humanité rayonnent dans un pays très réceptif à la psychothérapie.

Le succès du Colloque International de Cerisy la Salle de juin dernier sur « l'empathie » va permettre une publication qui sortira prochainement et dont je vous reparlerai.

(1) « Tout en affirmant l’ancrage de la psychiatrie dans la médecine, elle portent une conception de la psychiatrie progressivement construite par l’articulation de différents rapports : la tradition clinique héritée des aliénistes, la psychanalyse, les acquis de la psychothérapie institutionnelle, mais sans non plus réfuter les acquis de la psychopharmacologie ou des sociothérapies qui trouvent aussi leur place dans la psychiatrie » Quelles politiques pour la psychiatrie ? Jean-Jacques Laboutière, Psychiatries, septembre 2006 N° 146.


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