L'essentiel sur le DMP

Patrice Charbit
Retour au sommaire - BIPP n° 60 - Décembre 2011

Nous avons été nombreux à recevoir de nos A.R.S. un dépliant intitulé « L'essentiel sur le D.M.P. ». Le Dossier Médical Personnel, « au service de notre pratique professionnelle », arrive après de longues années de tergiversations. Beaucoup l'ont jeté sans le lire, tant il ressemble à une réclame ; pourtant, il mérite quelques commentaires.

Il nous est dévoilé en quatre parties sur un ton enjoué d'évidence pragmatique. La première s'intitule « les bénéfices du D.M.P. ». Il nous y est présenté tel un outil qui permet d'accéder en toute sécurité, aux informations « pertinentes » et aux données de santé du patient. Le concept est que la pertinence soit accessible d'emblée.

L'inconscient a été déjoué et n'a laissé aucun reste. En ouvrant ce dossier, vous êtes de facto et sans aucun doute possible, au coeur du sujet, sans risque.

« La collaboration ville-hôpital est renforcée », ce qui sous-entend que nos patients seraient suivis dans le même temps par l'hôpital. C'est peut-être le cas dans certaines pathologies particulièrement invalidantes ou particulières, mais certainement pas pour la grande majorité des patients que les psychiatres de ville sont amenés à suivre. À quoi bon renforcer une collaboration ville-hôpital si elle n'existe que peu, ou à la marge, surtout dans les grandes agglomérations ?

Nous avons à faire entendre encore plus clairement que les psychiatres libéraux soutiennent la prise en charge de pathologies importantes dans leur seul cabinet.

Toujours est-il que les patients démunis, de plus en plus nombreux, s'adressent volontiers à l'hôpital et à ses réseaux. De nouvelles filières se confirment et nécessitent de plus en plus la présence de psychiatres. Cela indique-t-il une évolution des pratiques au fil de l'évolution sociale ? S'agit-il de limiter les soins non pas au nécessaire mais au strict minimum ? Un psychiatre pourra-t-il continuer à opérer principalement dans son cabinet ?

« Le D.M.P. enrichit le dialogue avec le patient tout en respectant le secret professionnel ». Un psychiatre flanqué devant son écran, traquant le lièvre à débusquer, inscrivant des données confidentielles, n'a évidemment rien à craindre pour le bon déroulement de sa séance ou le respect du secret professionnel... Fichtre, nous voulons bien examiner les propositions de l'A.R.S. mais il serait de bon ton qu'elles soient sérieuses.

Vient ensuite La fonction « Bris de glace » en cas d'urgence. Pour un psychiatre, briser la glace signifie : être parvenu à instaurer un dialogue, un climat de confiance avec un patient. En l'occurrence, selon les A.R.S. rien de tout cela ; au moindre sentiment d'urgence, il sera possible d'accéder au D.M.P. du patient sans son accord. À quoi bon tant de précautions envers les droits du patient si la fonction « Bris de glace » n'est pas précisée et encadrée ?

La seconde partie consiste à mieux faire connaître le D.M.P. C'est un « Outil de coordination des soins et le DMP ne remplace pas le dossier professionnel ».

Nous gardons ainsi le droit d'avoir un dossier adapté à nos pratiques, mais, inclure des informations utiles à la coordination des soins n'augmente-t-il pas la durée de la consultation et surtout sa tonalité ? Le patient, en pleurs, qui vient raconter la séparation de l'amour de sa vie ou son effondrement aura-t-il le coeur à nous cocher les cas.... de la coordination des soins ?

« Le DMP n'est pas obligatoire pour le patient » Et pour le médecin notamment psychiatre ? La question ne se pose pas.

La troisième partie s'intitule « Le D.M.P. en pratique ». « Le D.M.P. peut être intégré dans votre logiciel de professionnel de santé, évitant une double saisie ». Le recueil des données est automatique. Qui choisit les données pertinentes ? Il n'est pas très rassurant de penser qu'un logiciel trie et transmet ce que vous êtes en train d'écrire.

Vous participez à une entreprise de recueil d'informations sans savoir ce qui en sera fait ni lesquelles seront choisies. C'est gentil de penser à nous ainsi, mais nos dossiers sont-ils forcément informatisés ? Il ne s'agit pas de défendre « le psychiatre de Cro-Magnon » incapable de se passer d'écrire à la main, mais d'imaginer une seule seconde que ce que pense un psychiatre s'adresse à son patient et à lui-même, et non forcément à un tiers, fut-il bailleur de fonds.

Nous ne noterons jamais la même chose et jamais sous la même forme, s'il s'agit d'une réflexion adressée au patient, à son assureur ou à des confrères. Cela semble inimaginable à l'heure du PMSI ou du DSM, mais c'est la stricte évidence. La pédagogie à faire semble en la matière écrasante.

Puis il est signalé que « Le D.M.P. appartient au patient ».Traduction simultanée : ce D.M.P. n'est réellement efficace que lorsque le patient est dans le coma et qu'il n'a pas le loisir de dicter ce qui doit être rempli et par qui. Nous voyons bien qu'il s'agit là du point faible du dispositif et que cette assertion est le fruit d'une longue négociation.

C'est un dépliant qui nous est présenté, un peu comme une pub, où l'on espère que ne sera repéré que l'effet d'annonce, et non pas ce qui est écrit en petit et qui est difficilement avouable. « Le D.M.P. appartient au patient » est en page 3 (lira-t-on jusque-là ?), noté parce qu'inévitable.

Il n'y a rien qui soit indiqué en revanche sur le « masquage du masquage ». Notre syndicat avait beaucoup oeuvré en ce sens. S'il est immédiatement repérable qu'un masquage a eu lieu, le climat de suspicion lors de la consultation n'est pourtant pas difficile à imaginer.

Du côté du médecin, il n'est pas question de sanctions si le D.M.P. n'était pas utilisé, alors qu'il ne s'agit que de cela... La collaboration des médecins est requise.

Cela est présenté comme l'accréditation : pas de sanction en cas de contravention puisqu'il n'est pas question que vous n' y participiez pas. C'est une condition même de votre pérennité.

La dernière partie se nomme « Être prêt à utiliser le D.M.P. ». Pas de médecine moderne sans informatique, sans Internet et les médecins sont à la pointe de la « modernité » ... naturellement.

Le logiciel professionnel, devenu obligatoire, doit donc être « D.M.P. compatible ». Bien entendu, le système est SÉCURISÉ, comme tout ce qui est sérieux et moderne. Aucun assureur, enquêteur ou pirate informatique ne pourra violer un tel système.

Pourtant, une fois constitué, où se trouvent donc les garanties ?

Pour finir, ce dépliant est accompagné du commentaire de quelques confrères déjà utilisateurs qui expliquent que ce système permet une responsabilisation de la filière de soins, permet une synthèse, est un gain de temps, permet d'avoir l'avis des spécialistes consultés sous les yeux, optimise la continuité des soins et leur efficacité.

Les antagonismes sont camouflés car visiblement l'important pour nos A.R.S. est d'initier le système. Une fois dedans, les médecins seront tenus de faire avec. Les questions ne seront plus préalables mais à régler de l'intérieur, plus tard.

Cet outil supplémentaire de « bio pouvoir » concerne sur le fond le médecin généraliste et au sein de notre profession, le psychiatre expert. Il ne sera que de peu d'utilité dans notre pratique journalière ; et que dire dans le cadre d'une psychothérapie ?

Du point de vue de la responsabilité juridique, elle sera engagée si une décision médicale va à l'encontre de ce qui est inscrit dans ce dossier.

L'information était accessible et le médecin a une obligation de moyens. Nous serons donc tenus de le lire. Par ailleurs, les systèmes d'alerte, pour incompatibilité médicamenteuse, par exemple, craignent tant que leur responsabilité soit engagée qu'ils se déclenchent quasi systématiquement.

Inutile d'imaginer se couvrir derrière eux, cela reviendrait à une paralysie. Le médecin, informatisé et à la pointe du progrès, risque d'éprouver un grand sentiment de solitude face à ses choix. Trop de sécurité vous laisse à vos risques et périls.

Encore un détail, le site Internet indiqué se surnomme : www.dmp.gouv.fr « L'agence des systèmes d'information partages santé » et « l'agence nationale du ministère en charge de la santé » mettent en oeuvre le DMP. Le gouvernement contrôle officiellement ce dossier.

L'enjeu n'est pas confié à la Sécurité sociale et aux partenaires sociaux. L'information sur l'état de santé des français et les données « pertinentes » seront ainsi à disposition du gouvernement, au cas par cas.

Bienvenue dans un monde de transparence !



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