Il était une loi : Suite et fin d’un (dé)compte de (mé)faits…

Marie Elisabeth Fischer
Retour au sommaire - BIPP n° 60 - Décembre 2011

Savez-vous quel est le comble du psychiatre moderne ? Être à l'écoute, et ne pas se faire entendre.

Après tout, on peut se dire qu'un individu qui passe son temps à hocher la tête en guise de récepteur d'un message émis finira inéluctablement par développer à long terme des troubles de la communication.

Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir crié. Malgré de longs mois de discussions et de réticences, de colloques informels en réunions au Sénat, la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sans consentement, a été promulguée le 5 juillet, et bel et bien entrée en vigueur le lundi 1er août.

A se demander si la rencontre entre représentants de psychiatres et législateurs a vraiment eu lieu, ou si elle n'était qu'une illusion.

Cela a été mon sentiment lorsque je me suis rendue à Paris le 6 Juillet dernier, au Palais d'Iéna, à la réunion d'information sur la mise en oeuvre de la réforme, organisée par le Ministère de la Santé, et ouverte à tous les acteurs du soin psychiatrique.

Dans l'hémicycle, se tenaient des psychiatres PU-PH, PH, des directeurs des hôpitaux (Sainte-Anne, CHUR de Lille Métropole...), des présidents d'inter syndicats, d'associations de psychiatres, mais aussi des responsables d'ARS et de TGI. Tout ce petit monde, après quelques diaporamas explicatifs et après l'allocution vidéoprojetée de Madame la Ministre, était donc invité à poser ses questions à une table ronde composée d'experts de la réforme (directeur adjoint de la DGOS et autres directeurs des hautes instances administratives).

Vous l'avez compris, il y avait à cette réunion beaucoup de directeurs et de directeurs adjoints, de fiches techniques et de documents-type, beaucoup de points-clés et de mots de la fin sans véritables clés, et surtout, encore et encore, des tonnes de logigrammes qui n'ont, à l'évidence, pas fait le poids face aux inquiétudes réelles des professionnels du terrain de la santé.

En effet, que pensez de l'intervention de nouveaux acteurs issus du champ judiciaire (avocats, JLD) dans la relation médecin-malade ?

Certains l'approuvent en faisant référence à d'autres systèmes européens d'organisation des soins. D'autres la contestent, en soulignant le caractère délétère de la SYSTEMATISATION de cette intervention auprès de malades qui « n'ont rien demandé » (et qui vont se retrouver dans une salle d'audience), au nom d'une loi qui se veut d'« augmenter leurs droits » !

La victimisation des personnes hospitalisées est double : non seulement elles n'ont plus leur libre - arbitre d'un point de vue médical (par définition), mais aussi, on considère que leur liberté individuelle est altérée d'un point de vue légal.

Voilà, nous y sommes, la confusion est faite : l'hôpital est un lieu de privation de liberté, et le psychiatre, le gardien de cette prison.

A défaut d'être riche et complexe, comme les notions fondamentales qu'elle est censée défendre, cette loi est contraignante et multiplie le recours à des certificats de plus en plus nombreux. A défaut d'avoir réfléchi, le législateur semble ne pas avoir trouvé d'autres moyens pour prouver sa légitimité que de tenter de se raccrocher désespérément à des avis d'experts de tous bords, de plus en plus spécialisés.

On pourrait s'imaginer augmenter à l'infini le nombre de certificats, d'avis, et d'évaluations, mettre en place le meilleur des programmes de soins, ce n'est pas ce qui empêchera les récidives de passages à l'acte tant redoutées et les rechutes dans la maladie.

J'ai pour souvenir ce patient de 28 ans souffrant de troubles mentaux, suivi et stabilisé depuis des années par les équipes soignantes du service où je travaille actuellement, qui s'est immolé le weekend dernier, alors qu'il avait été évalué le matin même. Aucun signe clinique ne présageait ce drame. Il était même attendu le lendemain pour d'autres activités. Il est décédé suite à ses brûlures, étendues à 96 % ; seule la plante de ses pieds n'a pas été atteinte par le feu.

Ce qui apaise les familles et les soignants dans ces moments douloureux, au-delà de la connaissance fine du contexte psychopathologique, c'est de se dire qu'on ne peut prédire l'imprévisible, qu'on ne peut tout contrôler, ni la vie d'un homme, ni ses affects, ni à quel moment ceux-là vont prendre le dessus sur sa raison ; quand la nature (humaine) reprend ses droits, c'est de savoir rester humble qui sauve.

Dans cette réforme, « l'expertisation » de la fonction soignante déshumanise la relation thérapeutique. Comme si chaque nouvelle évaluation rendait obsolète la précédente. Plus grave encore, les conséquences délétères sur les malades ; soit indirectement par leraccourcissement du temps thérapeutique, soit directement par les méthodes employées (visioconférence quand le juge ne veut pas se déplacer, recours à de multiples interlocuteurs face à un malade qui souffre déjà d'une certaine désorganisation psychique et en proie à plusieurs tensions internes, opposées et intenses...).

Les nombreuses heures de formation destinées aux médecins pour cette nouvelle loi auraient pu être consacrées, à l'inverse, à celle des législateurs à la maladie mentale, ou tout simplement au rappel de quelques règles de bon sens.

Cela aurait peut-être fait gagner du temps à tout le monde. Mais comme l'annonçait Monsieur Badinter en Décembre 2010 (voir article précédent : « La réforme de la loi du 27 Juin 1990 : du sanitaire au sécuritaire »), il semble que la volonté gouvernementale est d'imposer « la formation d'un complexe judiciaro-psychiatrique pour mettre l'individu dangereux hors d'état de nuire ».

Les médecins sauront-ils conserver leur liberté de penser et de prescrire, seules conditions sine qua none à l'instauration d'une relation de soins, efficace et créative, indépendante de toute pression politique ?

Ce qui est sûr, c'est que nombre d'entre eux n'aiment pas beaucoup cette loi parce qu'elle va à l'encontre même d'une règle déontologique de base : que le médecin est bienveillant envers son patient. En effet, mettant tout en oeuvre pour soigner l'individu malade, « enfermé » dans sa maladie, n'est-ce pas LUI, véritablement, qui est le mieux placé pour tenter de le libérer (de ses démons) ?

Cette réforme confond absence de consentement et absence de liberté, elle transforme la relation de confiance en une relation de méfiance... Elle fait du médecin un véritable « médiator », sorte de figure terrifiante qui hante, on le voit bien, le monde médical moderne. Cette loi, en donnant constamment aux malades les moyens de remettre en question leur thérapeute, en qui ils sont censés faire confiance, va être génératrice d'anxiété pour les plus vulnérables. On est bien loin de ce grand plan de restructuration de la Santé Mentale tant attendu, qui pourrait fédérer, informer, soutenir plutôt que de suspecter, contrôler, punir.

Cette réforme trouve ses bases dans le déni de principes fondamentaux d'éthique (médicale et psychiatrique) et on peut penser qu'elle n'existerait donc tout simplement pas, si elle en avait seulement tenu compte. Mais on ne rêve pas, on hallucine.

Il était une loi... papa-préfet et maman-justice. Ils galérèrent et eurent beaucoup de patients.

Merci à l'AFFEP de nous permettre de diffuser cet article déjà publié dans le Journal de l'AFFEP, le Psy Déchaîné N°4 - Septembre 2011.


Retour au sommaire - BIPP n° 60 - Décembre 2011