Psychiatre libéral dans la cité

Jacqueline Légaut
Retour au sommaire - BIPP n° 60 - Décembre 2011

Je souhaite témoigner de la possibilité, en tant que psychiatre libérale, travaillant exclusivement en cabinet, de pouvoir nouer des relations de travail avec de tout autres champs dans la cité, et cela avec des conséquences non négligeables quant à la possibilité de penser notre travail de praticien libéral. Mon propos vise à expliciter cette démarche, à la rendre plus lisible, et à susciter des échos chez les collègues qui de diverses autres façons s'y sont essayé, ou voudraient s'y essayer. Notre pratique libérale nous laisse encore beaucoup de liberté à la fois de pensée, de mouvement, d'organisation, et peut véritablement permettre d'impulser localement dans une région une dynamique intéressante.

Nous pouvons aisément libérer du temps pour participer aux réunions qui nous intéressent, bénévolement bien sûr, mais cette liberté n'a pas de prix, et je goûte fort l'agrément de n'avoir pas de permission à demander à qui que ce soit pour décider d'être présente à une réunion, sans compter que du même coup devient très sensible cette exigence que ces réunions « servent à quelque chose ».

Je pense qu'il y a là matière à réinventer notre métier de façon extrêmement stimulante, peut être discutable parfois, mais alors discutons en, c'est ce à quoi vous invite ce texte.

Un bref rappel historique

Tout est parti des Etats généraux de la Psychiatrie qui ont eu lieu en 2003 à Montpellier, à la suite desquels, et dans le fil de cette prise de conscience collective du danger qui pèse sur la possibilité même du soin en psychiatrie, quelques collègues se sont rassemblés en décembre 2005 en association loi 1901 appelée « Collège de psychiatrie grenoblois ».

Dans ce collectif se retrouvent les acteurs professionnels du champ de la psychiatrie, public et privé, psychologues, éducateurs, travailleurs sociaux, infirmiers, psychiatres, quelles que soient les associations ou cercles de formation d'où ils proviennent, en cours de formation ou déjà professionnels à part entière, tous acteurs décidés à ne pas se contenter de constater les raisons d'être inquiets ou découragés, mais bien décidés à inventer des modalités d'oeuvrer ensemble.

Ce collectif rassemble entre 70 et 80 participants, actifs à des titres divers, par des groupes de travail, notamment avec des internes, des soirées ou journées thématiques, des voyages d'étude chaque année, des projets, etc. Nous sommes entièrement autofinancés, ne recevons aucune subvention de qui que ce soit, et cela grâce à la modique cotisation annuelle de 30 euros par an par personne.

Dès la constitution de ce collège de psychiatrie grenoblois, nous avons pris contact avec la municipalité de Grenoble, afin de leur faire part de notre inquiétude, leur expliquer la situation qui nous préoccupait, et leur exprimer notre souhait de travailler avec eux, sans trop savoir comment d'ailleurs à ce moment là, mais avec la certitude qu'il était grand temps d'ouvrir notre espace à ce qui se passe dans la cité, persuadés que la place de la psychiatrie dans la cité est d'abord un choix politique de société, de même que notre pratique de soignant engage forcément cette dimension citoyenne, je m'en expliquerai à plusieurs reprises dans cet exposé, en montrant notamment comment cet engagement dans la cité influe sur notre pratique au quotidien, et inversement comment notre pratique nous amène à influer sur la façon de penser le « vivre ensemble » dans cette même cité.

Il se trouve qu'au moment même où nous l'interpellions, la municipalité effectuait précisément à ce moment là, par le biais du Service municipal de promotion de la santé, une enquête auprès des quartiers défavorisés afin de faire un état des lieux en matière d'accès aux soins en psychiatrie, ainsi qu'une évaluation des besoins quartier par quartier.

Il s'en est suivi la mise en place d'« ateliers santéville » dans trois quartiers dits défavorisés. C'est ainsi que j'ai pu participer dès sa création à l'« atelier santé ville » du quartier Abbaye-Teisseire qui est aussi le quartier où je réside.

Avant d'expliciter davantage ce qui se fait dans ces ateliers, je voudrais souligner combien non seulement la Ville de Grenoble nous a réservé immédiatement un accueil extrêmement favorable, mais en outre a toujours laissé ouverte la possibilité d'initiatives, d'invention, en les accompagnant avec beaucoup d'intérêt et de constance. C'est ainsi que peu à peu je suis sortie du huis-clos du cabinet ou des réunions entre pairs, pour participer à un certain nombre de manifestations dont je veux tenter de rendre compte, non seulement d'un point de vue informatif, mais aussi surtout pour montrer comment cette ouverture dans la cité, loin d'être aux antipodes d'une pratique en cabinet libéral, vient bien au contraire la nourrir, l'inscrire dans une dimension citoyenne, et amène à la repenser sous des angles insoupçonnés pour moi auparavant.

L'atelier santé-ville de l'Abbaye

Tout d'abord j'ai commencé à participer à l'atelier « santé-ville » du quartier Abbaye-Teisseire, et ceci à raison d'une réunion tous les mois depuis 5 ans, atelier qui rassemble les différents intervenants confrontés à un moment ou un autre à la question de la maladie psychiatrique de personnes qu'ils sont amenés à rencontrer dans l'exercice de leur profession. Participent à ces réunions des travailleurs sociaux, des bailleurs de logement sociaux, des représentants de la police, de la justice, de l'éducation nationale (infirmière scolaire), des psychologues, un directeur de centre social, des responsables de centre d'hébergement, une pédopsychiatre du CMP, une généraliste d'un centre de santé, un cadre de santé du CMP, moi-même en tant que psychiatre libérale exerçant sur ce quartier...

Outre la possibilité d'apprendre à se connaître, à se parler, à prendre la mesure des contraintes professionnelles des uns et des autres, c'est l'occasion de découvrir à quel point nous ignorons tout de ce qu'implique l'exercice des uns et des autres sur le terrain. Cette ignorance est largement porteuse d'à priori de tous ordres, qui en général n'ont pour seul effet que de se convaincre de l'incapacité professionnelle d'autrui, afin de justifier que l'on s'abstienne de tout contact avec...

Cet atelier est aussi peu à peu devenu un lieu de réflexion à plusieurs voix à partir de situations complexes, anonymes, situations apparemment insolubles, où nous avons pu découvrir comment cette réflexion plurielle permettait de les appréhender sous des angles inédits et imprévus et de renouveler notre façon de les aborder.

Par ailleurs, ces rencontres pluri professionnelles permettent de nouer des relations d'estime et de confiance qui non seulement sont grandement facilitatrices, mais aussi redonnent très concrètement le sentiment d'appartenir à un collectif de personnes tout à fait décidées à ne pas renoncer à faire un travail de qualité dans le contexte de leur quartier, en un mot à ne pas renoncer à leur parole de citoyen actif et concerné par ce qui s'y passe.

C'est dans ce groupe que j'ai pris toute la mesure de ce fait que pour qu'un patient soit en mesure de prendre rendez vous avec un psychiatre en ville, il faut qu'il soit déjà en relativement bon état psychique, et que manifestement bien des personnes qui en auraient besoin sont à mille lieux de l'envisager, pour diverses raisons.

L'empêchement n'est pas du tout nécessairement d'ordre pécuniaire, loin de là, même si évidemment ça n'aide pas. Ces personnes semblent porteuses de l'idée que tout ça c'est bon pour les autres, mais pas pour eux, avec l'idée sous-jacente qu'ils n'en sont pas capables, qu'ils ne sont pas de ce monde-là, qu'ils ne sont pas assez intéressants pour en avoir eu seulement l'idée...

C'est là que le relais que peuvent assurer des travailleurs sociaux prend tout son prix, mais suppose évidemment que ces mêmes travailleurs sociaux sachent à quels professionnels s'adresser, ce qui à les écouter, est loin d'être évident...

Il va de soi, au regard de ce contexte, qu'en restant exclusivement dans son cabinet, on ferme du même coup la porte à cette population qui a besoin de relais et de temps pour pouvoir commencer à envisager d'aller frapper à la porte d'un psychiatre.

Nouer des relations personnelles avec ces travailleurs sociaux aide grandement à faire fonctionner ce relais, notamment parce que le travailleur social peut parler en sachant déjà à qui il va s'adresser pour orienter ce patient, et bien sûr son propos s'en ressent et devient forcément plus convaincant.

La position que l'on adopte vis-à-vis de cette question a forcément une incidence politique qui n'a rien d'anodin : si nous n'allons pas au devant de cette population en souffrance, ce n'est manifestement pas elle qui est en mesure de venir frapper à notre porte, et ceci concerne à l'évidence beaucoup de monde, sans compter la détresse de nombre de travailleurs sociaux, bien placés pour le savoir, et complètement démunis pour y répondre.

Il y a là véritablement une dimension que je n'avais pas du tout perçue de cette façon lorsque je travaillais uniquement en cabinet, lieu où l'on est évidemment tout à fait à l'abri de cette réalité.

Participer les yeux fermés à cette exclusion n'est évidemment pas sans effet sur notre pratique dont l'essentiel consiste justement à questionner les processus d'exclusion...

Groupe de travail préparant les journées SISM

La rencontre avec le service municipal de promotion de la santé m'a permis d'intégrer un autre groupe de travail, qui rassemble différentes associations : l'Unafam, diverses associations de patients avec notamment VIP (voix iséroise de patients en psychiatrie), SOS Amitié, des associations plus spécialisées dans les questions d'addiction, prévention du suicide, etc.

Ce fut là aussi la découverte d'un champ associatif extrêmement riche et varié, fort actif, que je ne connaissais pratiquement pas. Il n'est rien de plus facile que de travailler en cabinet sans avoir la moindre idée de l'existence de tout ce tissu associatif et du travail qu'il assure au quotidien, sans bruit, et sans relâche...

J'ai donc pris place dans ce groupe au titre de représentante du collège de psychiatrie grenoblois, que personne ne connaissait non plus...

Ce groupe de travail se réunit tous les mois, depuis 6 ans, et prépare chaque année lors de la Semaine d'Information sur la Santé Mentale (SISM), une journée consacrée à un thème généralement choisi par l'Unafam, par exemple : « La maladie mentale, comment en parler sans stigmatiser ? » Tout le travail préparatoire de ces journées est l'occasion d'apprendre à écouter et à parler aux acteurs de ce champ associatif, tout particulièrement les familles de malades, et les patients eux-mêmes.

Il est extrêmement intéressant d'entendre des patients qui ne sont pas vos patients, et des familles qui ne sont pas les familles de vos patients, parler de leur expérience de vie avec les professionnels de la santé. Ce n'est pas seulement intéressant, c'est carrément « déménageant » dans tous les sens du mot, car on peut mesurer à quel point, non seulement nos patients et leurs proches ne nous disent sans doute pas le quart du dixième de ce qu'ils pensent, mais en outre nous autres soignants fonctionnons facilement comme si toute cette part de non-dit n'existait pas ; ceci suppose de notre part beaucoup d'idées toutes faites sur ce qu'est un patient, un médecin, une famille de patient, etc.

C'est certainement l'aspect de ce travail dans la cité qui m'a apporté le plus en ce sens que tout cela oblige à repenser sa pratique de fond en comble, non pas tant en termes de théorie, mais en termes de positionnement subjectif, à la fois comme soignant, mais aussi comme citoyen dans une société qui de fait, prend nécessairement parti sur la façon dont elle va faire place, et comment, à ces problèmes de maladie psychique. Force est de constater à quel point notre type de société est hautement pathogène ne serait-ce que par la multiplicité des choix organisationnels, informatiques, économiques dont il ne s'agit pas de nier l'utilité, mais qui trop souvent se font aux détriments de la priorité à donner au soin et de la place nécessaire et indispensable de la parole, sans quoi rien n'est possible ou n'a de sens.

Ces réunions ont été pour moi l'occasion de découvrir l'ampleur de cette difficulté, dont je ne pense pas un instant que nous, soignants, puissions faire l'économie de nous y intéresser et nous y atteler. Je m'en explique.

Si pendant longtemps il était même recommandé aux soignants de se tenir « à distance » de l'entourage des patients, il est bien évident qu'aujourd'hui, alors même que les possibilités d'hospitaliser sont fort réduites, et qu'en outre la plupart du temps les patients, en tout cas ceux qui consultent en ville, ne veulent pas entendre parler d'hospitalisation, nous sommes bien souvent obligés de nous tourner vers l'entourage, quand il y en a un et de voir ce que l'on peut mettre en oeuvre avec lui.

D'autre part, si les soignants ont pu parfois allègrement culpabiliser les familles à coup de théories diverses, on en est aujourd'hui bien revenu (pour l'autisme par exemple), néanmoins ces accusations ont laissé bien des traces, quand elles n'ont pas fait des dégâts irrémédiables.

Il est évidemment impossible d'imaginer nouer une relation un peu sérieuse avec les proches de malades sans revisiter tout cela, non pas pour battre sa coulpe, ce qui serait notoirement insuffisant, mais pour trouver, prendre une autre place dans la relation soignant-soigné.

Nous avons donc devant nous un immense champ à défricher pour apprendre à écouter ce qu'ont à nous dire ceux qui vivent au quotidien avec des personnes en grande difficulté psychique, et cela non pas dans un but démagogique comme je l'entends déjà dire, mais parce que cela fait partie intégrante de la dimension du soin, de sa mise en oeuvre. Cela ouvre un champ de réflexion extrêmement intéressant et fécond.

D'une part il s'agit de renouveler un savoir-faire acquis au cours de nos années d'exercice en ne l'enfermant plus dans une position défensive : « il ne sait pas », « il ne comprend pas », « il ne se rend pas compte », « il ne veut pas savoir », « il refuse inconsciemment que cela change », mais bien au contraire articuler ce savoir-faire à une écoute effective de l'entourage, et ne pas rester enfermé dans un savoir aussi précieux soit il.

D'autre part, changer notre regard sur l'entourage proche du malade, lui donner une autre place, nous amène directement à articuler d'une toute autre façon ce que nous pensons avoir à dire de lanécessaire place à faire à la folie dans une société qui se respecte.

Or, je ne vois pas comment nous pouvons soutenir cette parole de psychiatre sans avoir au préalable renoué avec ce que nous donnent à entendre les associations de patients et de proches de patients, il y va de la légitimité, de la cohérence, de la justesse de notre parole.

Réfléchir à cette question un peu sérieusement ne sera évidemment pas sans conséquence sur notre façon d'envisager la maladie mentale, notre façon de la penser, de l'aborder, d'en transmettre le savoir faire : un programme passionnant.

Reste évidemment à se demander comment il se fait que notre formation, et ce n'est pas un mince paradoxe, nous rende à la fois aussi sourds et défensifs vis-à-vis de la maladie psychique dès lors que ce sont les intéressés eux-mêmes qui s'avisent d'en dire quelque chose...

Le Conseil Local de Santé Mentale

Ce même groupe de travail qui réunit diverses associations a été à l'origine de la création d'un Conseil Local de Santé Mentale (CLSM), qui a pour vocation de fédérer l'ensemble des forces vives oeuvrant dans le champs de la psychiatrie, qu'il s'agisse du secteur hospitalier, des libéraux, des différentes associations, de la municipalité, du conseil général, etc., ainsi que les différents groupes de travail qui fonctionnent dans le cadre de ce CLSM.

Si ce rassemblement est incontestablement nécessaire, légitime et cohérent, il n'en reste pas moins difficile de le maintenir vivant et actif au regard de sa dimension et de son hétérogénéité : différentes instances s'y emploient, sous l'appellation incontournable de comité technique et comité de pilotage, et bien sûr la participation de chacun y prend tout son prix dans la mesure où nous souhaitons avant tout que le travail de terrain soit véritablement pris en compte, porté à la connaissance des responsables divers, et vecteur d'une interpellation des élus politiques locaux.

Tout ceci serait très long à décrire, et n'a pas lieu d'être ici, je voudrais surtout insister sur l'impact que cela peut avoir sur une pratique de psychiatre libéral de faire partie d'un conseil local de santé mentale.

Il y a tout d'abord la possibilité d'inscrire sa pratique dans un ensemble de relations, d'instances, de réseaux et cela de façon très concrète et lisible, à travers maintes relations personnelles tissées d'estime et de confiance réciproques : plus que jamais tout ce « tricotage » de liens personnels m'apparait comme le meilleur antidote à la dépersonnalisation ambiante.

Une autre conséquence très précise tient au fait que participer à ce genre de réseau active un mode de penser très différent de celui que l'on peut avoir seul dans son cabinet, ou dans une association de pairs : en un mot que je redis ici car il exprime bien ce que je veux dire, « ça déménage » , et je suis surprise chaque fois de toutes les idées, réactions, propositions que suscitent ces rencontres, idées ou réactions qui ne m'auraient jamais effleurées autrement , et que j'attribue au caractère très fécond, même si parfois bousculant, de ces rassemblements d'acteurs si différents, à des places et des fonctions si hétérogènes...

En un mot, participer à cette entreprise du CLSM en ses différents niveaux, a quelque chose d'extrêmement stimulant, et permet de remédier efficacement à la déprime ambiante, voire à une sorte de caractère parfois « autiste » de la pratique exclusivement en cabinet, loin des bruits de ce monde...

Psychiatrie et précarité

Ce fonctionnement en réseau a permis une initiative intéressante : le CCAS de la Ville a sollicité les psychiatres libéraux, via le Conseil local de santé mentale et le Collège de psychiatrie grenoblois, pour intervenir à titre temporaire dans quatre centres d'accueil de jour consacrés à l'accueil d'une population en grande précarité, et cela en appoint du travail effectué par l'équipe hospitalière momentanément peu « opérationnelle ».

Nous sommes deux psychiatres libérales à avoir répondu, et avons travaillé régulièrement avec les équipes de ces centres d'accueil durant deux ans, à raison de deux heures par semaine environ.

C'est là aussi l'occasion d'une plongée dans un monde dont la plupart du temps nous ignorons tout, où nous avons pu prendre la mesure de la tâche immense, de l'engagement au quotidien de quantitéd'associations, d'intervenants, qui se démènent jour après jour pour tenter de préserver un minimum d'humanité et de moyens, sans jamais savoir pour combien de temps encore...

Inutile de dire que la tâche du psychiatre est là aussi assez particulière, et outre la présence durant les temps d'accueil, de repas, etc., se résume surtout dans les contacts avec les équipes qui ont besoin d'exprimer leurs questions, leurs craintes ou leurs embarras, et la mise en relation de personnes, nombreuses, qui de toute évidence relèvent du soin psychiatrique du fait d'une pathologie de type psychotique évidente avec l'équipe mobile de soins psychiatriques, ou d'autre lieux de consultations dédiés en particulier aux personnes sans aucune ressource, sans papier, et bien souvent ne parlant pas français...

Conclusion

Après chaque séquence de travail dans ces lieux, je dois dire que le plaisir de retrouver le lieu privilégié que reste l'espace du cabinet est particulièrement vif : c'est l'un des intérêts de ces allers-retours dedans-dehors.

Non pas qu'il s'agisse de minimiser les menaces et les complications de toutes sortes qui guettent la pratique libérale, mais ne boudons pas notre plaisir de pouvoir dans le temps de l'entretien en tête à tête avec un patient, travailler comme nous pensons avoir à le faire au mieux, avec de plus très fortement le sentiment d'un privilège considérable du fait de cette liberté de parole qui est la nôtre dans cet espace, et que nous pouvons encore offrir au patient.

Cette « circulation » dedans-dehors du cabinet est aussi renouvelée par la participation au travail d'un syndicat et à la société savante qui lui est affiliée, je parle ici bien évidemment du SNPP et de l'AFPEP, par le regard distancié que cela permet de porter sur une pratique forcément locale, personnelle, tributaire de tout un contexte singulier.

Par ailleurs ce travail avec les collègues d'un syndicat permet de penser la dimension politique de notre pratique, d'en renouveler les priorités, les incontournables, les dimensions sur lesquelles il n'est pas pensable de tergiverser comme la confidentialité, le soin pour tous ceux qui en ont besoin, par exemple, et d'imaginer comment non seulement les défendre, mais aussi les expliquer,expliciter davantage en quoi consiste le concret de nos journées de travail, comment les questions se posent, comment nous nous en débrouillons, etc.

Il y a aussi, et ce n'est pas une mince affaire, tout le travail qui consiste à démêler les dictats administratifs : les déchiffrer, réfléchir à ce qu'ils impliquent concrètement pour l'exercice de notre métier, le formuler, prendre position, en rendre compte aux adhérents, etc., tout cela implique un travail difficile puisqu'il s'agit sans cesse de redéfinir ce métier, ses impératifs, ce qui est envisageable ou ce qui ne l'est pas, l'articuler, l'argumenter, ce qui est l'occasion d'échanges vifs et fort intéressants au sein de l'équipe du syndicat.

Dans cette alternance de temps de travail en cabinet, de réunion dans le champ de la cité, et de rencontres syndicales, je trouve une sorte d'équilibre particulièrement précieux, même si pas toujours simple à tenir, entre une pratique clinique, intégrée dans la vie de la cité, et pensée dans un projet politique au sens noble à travers l'engagement syndical.

Cette sorte de « trépied » me paraît particulièrement intéressant parce que ces trois registres, très différents, se nourrissent les uns les autres, se questionnent mutuellement tout en demeurant hétérogènes, permettant ainsi une pratique en « trois dimensions » qui nous met pour une bonne part à l'abri de tout enfermement théorique, ce qui n'est pas négligeable.

Bref, tout ce parcours pour tenter d'expliciter en quoi il consiste, et pour inviter d'autres collègues en route sur des chemins un peu neufs et peu fréquentés à y faire écho, en parler, le questionner, proposer d'autres pistes, s'y essayer à leur façon là où ils oeuvrent...


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