N° 11 - Février 2011
Chers collègues,
Le rapporteur du projet de réforme de la Loi de 1990, le député Guy Lefrand, a organisé le mardi 15 février à l'Assemblée Nationale une audition des principaux syndicats de psychiatrie à laquelle j'étais convié pour vous représenter.
L'ensemble des intervenants publics et privés ont demandé le retrait du texte pour faire place à une texte global précisant les missions de la psychiatrie comme le rappelle le communiqué du CASP.
« Le C.A.S.P. (Comité d'Action Syndical de la Psychiatrie) a été reçu hier avec différentes organisations professionnelles à l'Assemblée Nationale par M. Guy Lefrand, député rapporteur du projet de loi modifiant la loi de 1990 concernant les soins sous contrainte.
Les différentes organisations présentes ont exprimé leur point de vue. Le C.A.S.P. a rappelé qu'il était nécessaire que l'usage de la contrainte soit limité aux raisons médicales, en réponse à une situation d'urgence et pour la durée la plus courte possible. Il a précisé que le recours aux soins sous contrainte ne devait pas devenir une commodité notamment en raison du manque de lits ni constituer un court-circuit à la recherche du consentement.
Comme les autres participants le C.A.S.P. a souligné son attachement à une loi sanitaire et non sécuritaire. Il s'est félicité de l'intervention d'un juge des libertés mais a dénoncé la grande complexité du dispositif proposé qui sera très difficile à mettre en œuvre.
Enfin le C.A.S.P. a indiqué qu'il attendait un texte global précisant les missions de la psychiatrie et les moyens à mettre en regard, texte à l'élaboration duquel les professionnels de la santé devraient impérativement être associés. »
Cette audition m'a aussi permis de développer plus longuement les aspects propres à notre exercice en libéral et les impasses absolues aux soins sous contrainte en ambulatoire, tant pour des raisons pratiques que pour des considérations éthiques et proprement cliniques. Vous trouverez ci après le courrier sur lequel je me suis appuyé et que je lui ai remis.
Cette loi doit être discutée au parlement à la mi-mars.
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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Depuis la parution de la Loi le 27 juin 1990, le Syndicat National des Psychiatres Privés est demandeur d'une réforme pour une meilleure observance des droits et de la protection des patients et une redéfinition du soin pour améliorer la qualité dans ces situations très particulières où il est primordial que les psychiatres conservent cet unique objectif . Force est de constater que le dispositif actuellement en vigueur oppose un certain nombre d'obstacles tant pour l'accès aux soins que pour la sortie des soins, mais nous constatons aussi que le texte qui est proposé n'apporte aucune réponse à nos attentes et bien au contraire renforce notre détermination pour l'obtention d'un nouveau dispositif totalement remanié.
Les psychiatres libéraux sont déjà coutumiers de ces réflexions lorsqu'ils ont à prendre la décision d'une hospitalisation à la demande d'un tiers pour un patient. Outre le diagnostic clinique qui conduit à envisager cette éventualité trois autres questions surgissent :
- la pertinence de la réponse thérapeutique de l'hospitalisation sous contrainte,
- le respect des libertés fondamentales du patient,
- le respect de la dignité du patient, notion trop peu évoquée sur laquelle s'était penché le Conseil National d' Ethique et dont l'avis est indispensable avant toute décision dans ce domaine.
Quand le psychiatre prend cette décision, la dimension contenante et parfois protectrice de l'hospitalisation est un élément majeur de l'orientation thérapeutique. Ce sont là des données de base de notre pratique quotidienne qui doivent être prises en compte. Si les soins sous contrainte constituent un domaine tout à fait fondamental en psychiatrie, l'objectif poursuivi par les psychiatres dans leur ensemble est de les restreindre au minimum et non de les étendre et l'augmentation des chiffres soulève des questions multiples tant dans le contexte environnant dans lequel ces hospitalisations arrivent que dans les situations cliniques des patients et notamment le constat du mode d'entrée dans les soins avec tout ce que cela signifie pour la suite où la psychiatrie sera modèle à fuir.
Il n'en demeure pas moins que la fonction des psychiatres libéraux est avant tout d'endiguer les débordements et de proposer des soins qui éviteront ces situations de rupture
Le travail des psychiatres libéraux repose sur l'engagement dans le soin aussi bien du patient que du praticien et nécessite des conditions permettant le consentement aux soins qui relève parfois d'une longue négociation et suppose avant tout un climat de confiance totale. Ceci résultera d'une rencontre où chacun se sent parfaitement libre dans le respect du cadre thérapeutique, seul à même de jeter les bases d'une relation thérapeutique indispensable au déroulement des soins.
Si le dispositif de l'hospitalisation sous contrainte a été imaginé en 1838 et reconduit depuis cette date c'est parce que la fonction contenante de l'hospitalisation trouve sa place dans la démarche thérapeutique dans des situations cliniques bien définies. Pour être opérante cette fonction contenante de l'hospitalisation nécessite toute une équipe rodée à ce travail et à même de se réunir fréquemment, autant que de besoin.
Dans les situations de tension extrême la multiplicité des intervenants permet à chacun de prendre une part de cette intensité que la mise en commun lors des réunions d'équipe permet ensuite de rassembler pour amener à une élaboration collective indispensable pour faire face aux interrogations que soulèvent ces prises en charge.
Aucune étude ni aucun travail théorique ne nous permettent d'identifier le levier thérapeutique qui justifierait la transposition de la contrainte de soins en ambulatoire où tous les mécanismes précédemment décrits ne sont pas opérants. Le propre du psychiatre libéral est de travailler seul dans son cabinet, et c'est souvent la raison pour laquelle il est choisi par les patients qui quittent l'hôpital, désireux de trouver cette écoute tout à fait singulière. Nous sommes aux antipodes des conditions permettant les soins sous contrainte qui requièrent une équipe dûment formée. Le paradoxe serait alors que la contrainte s'exerce sur le psychiatre en imposant des obligations antinomiques de l'exercice de la psychiatrie privée telle que la délation pour non présence au rendez-vous, ce qui n'est pas le cas dans l'injonction de soins où c'est au patient d'apporter la preuve qu'il est en soin. Cette bascule est capitale car elle permet au patient de se réapproprier le soin, de faire un grand pas vers le consentement aux soins qui reste la situation la plus propice à une évolution favorable.
Tout projet de réforme de la Loi de 1990 devra prioritairement s'appuyer sur ces impératifs sanitaires dans la prise en compte des conditions indispensables à l'instauration des soins.
Or que constatons nous ?
- on nous propose un texte dans lequel la terminologie dominante est du registre pénal et tend plutôt à l'exclusion des soins (on trouve par exemple le terme de comparution personnelle du patient),
- un texte qui ne répond pas à la question de l'accès aux soins, tout particulièrement dans les situations difficiles génératrices de troubles plus graves. Le projet n'est pas porteur d'amélioration pour la qualité des soins mais constitue au contraire un risque de dérive sécuritaire tout particulièrement lorsque la différentiation entre malade et délinquant devient flou, alors qu'il importerait d'insister sur la notion de dangerosité du patient pour lui même,
- un texte qui maintient toujours une différentiation inopportune en fonction du tiers demandeur,
- les modalités d'application de l'intervention du juge paraissent irréalisables alors que le Conseil Constitutionnel vient de rappeler l'importance du droit et des libertés dans ces situations particulières avec la nécessité d'un contrôle et d'une garantie de ces soins sans consentement mieux réfléchis par la justice plutôt que par le pouvoir administratif des préfets,
- une approche réductionniste élaborée dans la précipitation en réponse à une injonction d'ordre sécuritaire et non sanitaire avec un durcissement des conditions de sortie des patients en hospitalisation d'office et les pleins pouvoirs donnés au préfet, quand il s'agirait d'entamer une vaste réflexion sur la nature des soins dans ces situations complexes et les moyens à mettre en œuvre,
- tels qu'ils sont présentés les soins sans consentement en milieu ambulatoire semblent tenter de pallier au manque de moyen du service public et ne constituent pas une bonne réponse aux difficultés de fonctionnement qui en découlent. C'est au contraire l'occasion de rappeler qu'en 1838 en même temps que la loi instaurait l'hospitalisation sous contrainte, elle donnait les moyens pour réaliser cet objectif. Nous attendons en 2011 que cette réforme soit aussi tournée vers l'attribution de moyens nouveaux à la psychiatrie pour faire face à ces demandes nouvelles,
- ces demandes résultent avant tout du constat de sorties d'essai de trop longue durée et trop fréquentes quand la loi de 1990 les envisageait comme des situations d'exception. Pour résoudre ce problème le texte propose de transformer l'exception gênante en règle. Le prolongement des soins impose une autre réponse plus élaborée sur la base des premiers éléments que nous avons tentés d'apporter.
Le Syndicat National des Psychiatres Privés demande aux parlementaires le rejet de ce texte et la reprise de cette réflexion dans un projet plus vaste pour la psychiatrie dans son ensemble.
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Directeur de la publication : Yves Froger