Conforme mais con sans sus

Pierre Coërchon
Retour au sommaire - BIPP n° 46 - Novembre 2006

Quelle voie pour l’accès d’un patient à un psychiatre dans ce nouveau parcours de soins ?

Parcours de la collaboration pour certains : Monsieur le ministre de la santé ne manque pas en cette occasion de se satisfaire du pourcentage écrasant des usagers français qui ont accepté sans broncher de rejoindre ce nouveau cortège du « Bien collectif », ce constat représentant évidemment de son point de vue un franc succès. Il peut se regretter d’ailleurs que son commentaire et son analyse n’aillent pas au-delà du contentement, venant alors s’interroger sur ce puissant et pas forcément rassurant effet de masse au lieu de la classique résistance des populations à la gouvernance.

Parcours du combattant pour d’autres : c’est le cas des patients récalcitrants qui dès lors ont à faire avec la machinerie bureaucratique administrative et qui peuvent au moins constater que pour y échapper un certain prix reste à payer.

Parcours de la résistance enfin : ici, en effet, le S.N.P.P. et ses adhérents ne peuvent se satisfaire d’un système d’aiguillage et d’accès à la rencontre du médecin conventionné spécialiste du psychisme qui, peu à peu, annule l’acte psychiatrique et le réduit au rang du conseil ou d’expertise diagnostique dont la seule finalité serait l’orientation vers quelque programme ou réseau à fin d’économie ou de quelque qualité.

L’accès spécifique direct et libre, pour un patient s’estimant malade ou qu’autrui estime malade, à la possibilité d’adresser sa demande au psychiatre de son choix, paraissait - jusqu’à décembre 2005 et la signature de l’avenant conventionnel numéro 10 - une évidence pour tous. Cette position d’exception de la psychiatrie, non exclusive car n’étant pas la seule spécialité dans ce cas, coïncidait jusqu’alors de façon heureuse avec notre pratique qui, quant à elle, commence là où s’arrête la pratique médicale somatique pure, c’est-à-dire qui commence où la suggestion, la prescription, l’ordonnance, la maîtrise se heurtent à un impossible, mais où pourtant demeure et reste quelque chose à traiter. Le parcours de soins, indicateur et suggestif d’un nouveau « bien faire » se situe indubitablement dans un discours de maîtrise. Il vient historiquement en réponse au constat d’un trou, dans une lecture comptable économique d’un excès de consommation médicale, lecture obéissant quant à elle à la logique de la structure du discours capitaliste, discours venu, depuis environ deux décennies, sévèrement concurrencer, voire remplacer le discours universitaire. Cette réaction d’un retour à un discours de maître via le parcours remboursable de soins pourrait peut-être trouver pertinence à venir coïncider avec le discours médical « somatologique » qui se doit, lui aussi, de placer la maîtrise et l’ordre en agent. Mais au lieu où l’ordonnance rencontre sa limite, là où le champ psychiatrique des effets de la parole et du langage commence, il ne saurait se concevoir de ne pas laisser au patient cette voie d’accès directe et confidentielle à la consultation d’un psychiatre. Car dorénavant, dans ce champ psychiatrique, l’ordre, la direction et la prétendue connaissance se trouvent, non plus en début de chaîne, mais comme produit, plus-value, sus, intérêt du travail opéré par le patient auprès de son psychiatre. C’est là le parcours de soins psychiatrique, un certain parcours de travail avec un patient venant exposer ses symptômes impossibles à maîtriser. Ceci est en soi spécifique à la psychiatrie dans le champ médical et mérite donc exception.

Si l’intention de cet avenant conventionnel numéro 10 est de transformer le genre d’un psychiatre en celui d’un berger réglementaire pilotant en conformité son troupeau de moutons, la voie de ce parcours est celle de la bergerie. Elle annule tout l’intérêt – le sus - de notre savoir et de notre pratique. Quelle belle réussite ! Dans le cas d’une intention contraire, cette erreur grossière est à corriger d’urgence.

Pierre Coërchon
Clermont-Ferrand


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