Après les XXXVe Journées

Hélène Baudoin
Retour au sommaire - BIPP n° 46 - Novembre 2006

C’est la mine déçue d’une jeune psychiatre croisée au cours d’une pause qui a guidé mon questionnement à l’issue de ces journées qui se sont déroulées à Chailles, ainsi que ses quelques phrases :

« À quoi vous sert de vous plaindre comme ça ? De passer votre temps dans la plainte ? Pour nous qui y croyons, c’est triste ! »

Je sentais qu’elle nous en voulait et j’ai eu envie de nouer un dialogue avec elle, de l’entendre parler de sa psychiatrie. Mais cela n’a pas été possible. J’ai trouvé un visage fermé et une absence d’intérêt de sa part pour ce que j’avais à dire, pour ce qui m’amenait vers elle, pour ma curiosité. Seulement ce reproche.

À moi d’être déçue. J’ai regagné ma chaise, avec ce trop bref « échange » dans la tête. Pourquoi n’a-t-elle pas saisi l’occasion de ce dialogue ?

A-t-elle raison ? Ne faisons-nous que nous plaindre ? Nos raisons ne sont-elles pas fondées ?

J’avais tenté de lui dire que nous aussi nous avions commencé notre psychiatrie avec espoir et croyance et que notre plainte était un vrai sentiment de souffrance qui pouvait peut-être simplement s’entendre. Je le crois sincèrement, nous traversons ou voulons prévenir d’authentiques états de souffrance.

Refuserait-elle de l’entendre ?

Est-ce là un des effets de cette coupure avec l’histoire que la standardisation a commencé à opérer chez les plus jeunes ?

Et puis sommes-nous uniquement dans la plainte ?

Il y a aussi de la colère ! Cela est différent ? Cela la dérangerait-elle ? Le conformisme est-il de mise maintenant ?

Bien sûr, tout n’est pas détruit mais anticiper, sonder le passé pour y trouver des leçons, se souvenir de ce dont il convient d’avoir peur, ne fait-il pas la preuve de notre vivacité ?

Comment aurais-je réagi si j’avais entendu mes aînés se plaindre, souffrir ?

Il me semble que j’ai surtout essayé d’entendre comment ils pensaient. Je me suis donné du temps pour juger. Je me suis montrée curieuse. Elle ne m’a pas semblé dans une même curiosité de comprendre.

Qu’est-ce qui a dérangé cette jeune femme ?

Pourquoi n’était-elle pas plutôt avide de questions ?

Qu’attendait-elle de ces journées ?

Parlons-nous encore le même langage ?

Ce que je pense comprendre à l’issue de ces journées c’est que les contraintes actuelles qui pèsent sur notre profession pourraient avoir cela de bon qu’elles nous obligent à augmenter notre vivacité à exister.

Le champ de l’autre n’est bientôt plus préservé par l’État, cet État républicain avec lequel nous avions construit petit à petit le confort (et non le luxe) de travailler à l’écoute de la souffrance dans des temps et des lieux consacrés.

Un confort accordé à tous, signe d’évolution de la société.

Aujourd’hui, l’autre est l’objet d’une commande visant à ne laisser aucun « trou » dans la consommation, et sa nature imprévisible est attaquée, jusque dans ses maladies qui doivent rendre des comptes et suivre les circuits vertueux tracés par qui veut pouvoir fidéliser les revenus dont elles deviennent la source. Nous aurons bientôt droit à nos forfaits Diabète ou forfait Schizophrénie… payables par virement automatique…

J’ai le sentiment qu’il va nous falloir apprendre à défendre ce territoire de l’altérité de façon de plus en plus pertinente et sans concession.

Il y a eu sur ce thème « Hospitaliser ? » une très belle intervention de J.-J. Martin parlant de l’hospitalité, comme accueil de l’autre, nous donnant la mesure du travail à accomplir.

Cela peut s’avérer passionnant, voire « dépoussiérant », là où le confort nous avait peut-être un peu endormis… Sans aucun doute nous n’avons pas toujours été à la hauteur…

Mais attention au risque d’épuisement…

Hélène Baudoin

 


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