La loi de prévention sur la délinquance

Yves Froger
Retour au sommaire - BIPP n° 46 - Novembre 2006

Il y a maintenant un an paraissait le rapport de l’INSERM sur les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent très largement commenté dans la presse professionnelle et dans la grande presse.

Quelques semaines plus tard, nous trouvions sur le site du Syndicat des Commissaires et Hauts Fonctionnaires de la police nationale dans la rubrique prévention de la délinquance, des recommandations pour la détection avant l’âge de 3 ans, des sujets à risque et des propositions de mesure de prévention appropriée.

S’en est suivie la pétition « Pas de zéro de conduite » relayée par une multitude d’organisations professionnelles dont la nôtre qui a abouti au retrait de ces recommandations et l’on ne peut que s’en féliciter.

Le projet de Loi de Prévention de la Délinquance soutenu par le Ministre de l’Intérieur et actuellement en débat n’a pour autant rien de rassurant. Nous retrouvons dans ce texte des principes identiques à ceux que nous avions dénoncés il y a un an résultant d’un amalgame et d’une confusion entre les comportements anti-sociaux et les troubles du comportement liés à une pathologie mentale pour autant que celle-ci soit avérée car nous avons vu les dangers de l’extrapolation dans ce trop fameux rapport de l’INSERM.

Ce projet de Loi de Prévention de la Délinquance comporte un volet psychiatrique avec des propositions de réforme de la Loi de 1990 et notamment de création d’un fichier national des malades hospitalisés en HO.

Nos collègues du service public ont collectivement et fort justement réagi et dénoncé les dérives et les dangers de ce texte et nous les rejoignons point par point sur leurs analyses.

Nos patients sont en danger. Toute dérive comportementale peut devenir suspecte et d’ici à ce que nous soyons tenus de le signaler, il n’y a qu’un pas que nous ne devrons jamais franchir, mais ne nous y trompons pas, les pressions seront énormes.

Pour le moment, le Conseil National de l’Ordre des Médecins veille au grain en rappelant le caractère infaillible du secret médical. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme émet des réserves sur ce texte, notamment au regard des dispositions concernant les malades mentaux, mais seront-ils entendus ?

Le texte sera probablement amendé, certaines dispositions seront remises à plus tard, notamment la réforme de la Loi de 1990, mais les principes de base s’immiscent fortement et durablement dans le débat. Surveillance – Signalement – Transparence – Repérage des groupes à risque, tout ceci sans discernement et surtout sans le discernement médical indispensable pour un diagnostic précis et nuancé lorsque le cas le nécessite.

C’est l’idée même d’intimité qui est mise à mal dans ce texte et s’il est encore trop tôt pour dire ce que ce texte va produire dans la population, nous savons par contre que nous occupons une place auprès de nos patients qui nous permettra de percevoir assez rapidement les premiers changements. La parole sera-t-elle toujours aussi fluide, la réflexion sur les zones d’ombre propres à chacun sera-t-elle toujours possible ? Tout cela est pourtant indispensable à une prise de position éthique souhaitable chez chacun, mais une éthique non orientée. Si nous le perdons de vue, nous deviendrons des ré-éducateurs auxiliaires des forces de l’ordre pour faire rentrer dans le rang les déviationnistes et les patients ne s’y tromperont pas. Nous sommes donc aussi pleinement concernés par ce texte, tout autant que nos collègues du service public.

Enfin, si les professionnels reconnaissent la nécessité d’une réforme de la Loi de 1990, c’est au ministère de la Santé qu’elle doit se discuter et non au Ministère de l’Intérieur.

Le S.N.P.P., membre du Comité d’Action Syndicale de la Psychiatrie (CASP) s’associe aux démarches du Président Olivier Boitard, pour faire connaître l’hostilité de la communauté psychiatrique et obtenir des législateurs qu’ils reconsidèrent ce texte.

C’est donc pour le moment au sein du C.A.S.P. que nous agissons face à un danger, avant d’envisager s’il y a lieu à une initiative propre au S.N.P.P.

Yves Froger


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