Le secteur II. Solution ou impasse : les raisons d'un paradoxe

Yves Froger
Retour au sommaire - BIPP n° 39 - Octobre 2004

Le récent jugement de la Cour d’Appel de Douai déboutant la CPAM et confirmant les spécialistes sans titre spécifique dans leur demande de passage en secteur II, le récent accord dans la crise des chirurgiens sont autant d’indices qui laissent entrevoir que le secteur II, ou un secteur II déguisé, pourrait bien être la solution qui se profile à l’horizon et à ce titre il est tout à fait normal et certainement même souhaitable d’en faire individuellement la demande.

Nos aînés ont été amenés à faire ce choix avant 1989, pour ces mêmes raisons et nul ne songe à les en blâmer.

Dès lors se pose la question de la généralisation du secteur II ; dans un souci d’équité on ne peut répondre que oui. Rien ne justifie de limiter ce privilège à quelques-uns et du reste, le jugement de la Cour d’Appel de Douai rappelle que rien dans le RCM n’interdit le passage du secteur I en secteur II, pas même l’absence de titre spécifique.

Aussi nous devons anticiper les conséquences de cette éventualité, pour les patients et pour les psychiatres.

Du côté des patients : nous savons que les revenus des psychiatres de secteur II ne sont pas significativement plus élevés que ceux de leurs collègues du secteur I, ce qui signifie qu’ils ont une activité moindre. Cette donnée conjointe à la diminution programmée du nombre de psychiatres ne va-t-elle pas compliquer encore plus l’accès aux soins des patients, et nous savons que dans cette course d’obstacles, les patients les plus démunis, les plus fragiles sont les premières victimes. D’autre part secteur II signifie obligation pour le praticien d’augmenter ses honoraires pour faire face au surcroît de charges et donc nécessité de recevoir un nombre suffisamment important de patients pouvant supporter cette augmentation. Qu’adviendra-t-il des autres si tous les praticiens d’un même bassin de vie sont en secteur II.

Du côté des psychiatres, c’est une redistribution des cartes. Peut-on sérieusement penser que le système fonctionnerait de la même façon avec 90 % ou 100 % des psychiatres en secteur II quand il ne concerne actuellement que 25 %. Le fonctionnement du secteur II repose sur l’existence du secteur I. Les spécialistes en secteur II dans leur ensemble ne sont du reste pas favorables à cette généralisation car ils redoutent la redistribution des patients les plus solvables et le risque de baisse des revenus.

En outre, ne risquons-nous pas de voir le problème se déplacer sous l’influence des mutuelles et des assurances privées qui face à l’augmentation du nombre de patients les sollicitant pour le remboursement des dépassements d’honoraires prendront de nouvelles mesures parmi lesquelles on peut craindre la sélection des praticiens, selon leurs propres critères, sous forme de contrats individuels (cf. amendement Dubernard) dont ils proposeront la liste à leurs adhérents, laissant les autres de côté, et reproduisant ainsi le fossé entre deux cadres d’exercice. Tout ce qui nous divise nous fragilise.

Nous serons toujours plus forts, toujours plus solidaires si nous exerçons dans le même cadre, et dans le souci de la défense d’intérêts communs, et la revalorisation du tarif opposable doit rester une revendication forte et commune.

La revalorisation du tarif opposable est tout aussi importante pour les collègues du secteur II que pour ceux du secteur I, or l’existence du secteur II, dans la mesure où il représente une possibilité d’augmentation des revenus des praticiens rend moins nécessaire aux yeux des tutelles la revalorisation du tarif opposable ce dont les praticiens du secteur I font les frais depuis plusieurs années maintenant.

Aussi, tant pour les risques d’accès aux soins pour les patients, que pour les risques d’augmentation des revenus qui pourraient s’avérer fort limités faute de revalorisation du tarif opposable, cette solution pourrait s’avérer un fiasco sur le plan collectif et le syndicat ne peut soutenir ce projet comme étant la solution à nos problèmes bien au contraire, par contre, nous le répétons, que chacun fasse individuellement ce choix parce qu’il pense que c’est une solution qui lui convient dans l’état actuel des choses est parfaitement normal, et nous tenons à la disposition de chacun sur le site, la procédure à mettre en œuvre mais dont le résultat reste incertain. C’est bien sûr le nombre des praticiens qui entreprendront et réussiront cette démarche (prônée par l’association APOS II) qui déterminera la redistribution des cartes et l’importance des changements dont nous parlions plus haut.

Autant dire que le débat est bien difficile. Les psychiatres en secteur II souhaitent pouvoir continuer d’exercer dans ces conditions, beaucoup plus enviables que celles du secteur I, et c’est tout à fait normal. Il n’y a aucune raison de promouvoir un retour en arrière. Les psychiatres de secteur I souhaitent bénéficier de conditions de travail tout aussi confortables et actuellement le secteur II reste le modèle le plus attrayant.

Comment articuler ces 2 assertions quand nous soutenons que la généralisation du secteur II serait éminemment dangereuse.

C’est à ce niveau que le projet de SUHLM* de la F.M.F. nous paraît tout à fait cohérent et le seul à même de garantir l’accès aux soins des patients, de rétablir l’équité entre les psychiatres, sur la base des modalités les plus favorables.

Il conserve l’intérêt du travail dans le cadre du tarif opposable garantissant l’accès aux soins pour tous et offre un espace de liberté tarifaire dans les cas où c’est nécessaire et possible.

Nous nous sommes insurgés contre les attaques qui visaient la pratique libérale et qui font que dans le système actuel le secteur II apparaît comme une valeur refuge garantissant des conditions d’exercice dignes pour la profession.

Nous pensons que le SUHLM est de nature à restaurer cette dignité de la pratique libérale au même titre que le secteur II avec lequel il pourrait cohabiter.

Nous ne pouvons pas non plus déconnecter cette perspective du projet actuel du gouvernement qui vise à accorder aux médecins spécialistes, sous réserve d’accords conventionnels qui restent à négocier, un droit à dépassement en cas d’accès direct, qui ne serait rien d’autre qu’une sanction du patient pour comportement déviant voire délinquant dès lors qu’il n’a pas respecté le parcours vertueux de soins en ne s’adressant pas dans un premier temps à son médecin traitant.

Nous nous sommes déjà expliqués par ailleurs sur notre refus pour notre spécialité de ce dispositif de l’accès direct au regard de cette dimension de sanction qui vient interdire toute relation thérapeutique.

Cette dimension de la sanction aussi bien des patients que des praticiens est sans doute le pilier de la réforme de l’Assurance Maladie, puisqu’elle est aussi à la base du Dossier Médical Personnel.

Nous n’adhérons pas à une organisation des soins qui repose sur des mécanismes d’infantilisation et considère que les patients tout autant que les médecins feraient preuve d’une grand irresponsabilité dès lors qu’ils ne sont pas étroitement encadrés, ce qui justifierait la mise en place du système qui nous est proposé et qui se caractérise par la mise sous tutelle administrative (UNCAM et ministère) de l’exercice libéral.

Face à ce projet encore une fois très infantilisant pour les patients et pour les médecins, il est fondamental de développer un contre-projet qui repose sur l’engagement, la responsabilité et la maturité de tous les acteurs.

Le SUHLM nous semble répondre à ces critères tout comme le secteur II actuellement.

Yves FROGER
Lorient

* Secteur Unique à Honoraires Libres Modulables
Principe :
Chaque praticien peut faire une proportion d’actes au tarif de la Sécurité sociale et une proportion d’actes à honoraires libres. Chaque praticien est alors exonéré de ses charges d’assurance maladie URSSAF au prorata du taux de son activité en tarif opposable. Ces proportions sont individuelles et propres à chaque praticien, c’est l’activité de ce dernier qui en décide, elles peuvent donc varier dans le temps.
En pratique :
- Un praticien peut fonctionner comme un secteur I actuel.
- Un praticien peut fonctionner comme un secteur II actuel.
- Tous les intermédiaires sont possibles.
Conséquences :
- Les praticiens sont encouragés à pratiquer des tarifs opposables (prise en charge d’une partie des cotisations sociales).
- Pour favoriser ce mécanisme la Sécurité sociale est encouragée à assurer un tarif opposable honorable.
- C’est au médecin et à son patient de se mettre d’accord sur le tarif qui convient à la situation.

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