La psychothérapie du pédopsychiatre

Françoise Cointot
Retour au sommaire - BIPP n° 39 - Octobre 2004

En pédopsychiatrie, la consultation s’éveille, se déploie, travaille, porte, et joue de la dimension psychothé-rapeutique de façon quasi paradigmatique.

Qui plus est en Europe, l’histoire de la pédopsychiatrie est indissociable de celle de la psychanalyse ; la pensée, les théories, les modèles de compréhension psychanalytique ayant eu une place prépondérante en Europe, dans la clinique de l’enfant contrairement à Outre Atlantique, où prédominent les références socio-adaptatives, neuro-cognitivistes et biochimiques.

La psychanalyse ne cesse de chercher l’enfant, qui se révèle toujours comme une énigme, à travers la névrose infantile des cures d’adultes, à travers le silence des enfants en bas âge, à travers la psyché familiale, l’inscription trans-générationnelle, à travers notre amnésie infantile à tous et ne cesse de penser ses cadres et techniques dans la pratique psychiatrique infanto-juvénile entre observation, vérification, construction, entre pédiatrie, éducation, développement et psychanalyse.

L’enfance de chacun – écrit Freud – est une sorte de passé préhistorique.

Sûrement mais l’enfant de la consultation pédo-psychiatrique est un enfant bien réel, porteur de fantasmes, entouré de récits.

La demande de consultation en pédopsychiatrie est rarement parlée par l’enfant, mais le plus souvent apportée par les parents, sauf parfois à l’adolescence, où elle peut se faire en nom propre. Si elle n’est pas dite par lui, son symptôme parle pour lui et ses parents le traduisent, le formulent dans ce qu’il a d’émergeant, ou de gênant, le plus fréquemment comme une demande de changement ou de compréhension, soit dans la reconnaissance d’une souffrance psychique à traductions diverses chez l’enfant, soit dans le défaut d’adéquation de l’enfant à des facteurs environne-mentaux ou à son groupe d’appartenance : vie scolaire, familiale ou relationnelle avec les pairs.

La demande initiale échappe souvent donc à l’enfant, elle est apportée par les parents. C’est souligner la dimension douloureuse ou anxieuse quasi constante chez des parents consultant pour leur enfant, avec le plus souvent soit une blessure narcissique importante, soit une crainte d’anormalité de leur enfant.

Toute consultation qui ne prendrait pas en compte à la fois humainement et psychothérapeutiquement cette dimension évacuerait le travail de l’alliance thérapeutique avec les parents, base fondamentale pour la délégation parentale que sous-tend toute prise en charge pédopsychiatrique.

De "apporter une demande d’aide pour son enfant à un médecin" à "porter une prise en charge effective pour son enfant à travers une alliance thérapeutique avec ce médecin", il y a tout un travail déjà de mobilisation psychique chez les parents dont nous aurons à tenir compte tout au long de la prise en charge et dès la première rencontre et qu’il nous faudra travailler avec eux, au gré des résistances, des tâches aveugles de chacun.

Ce travail de mobilisation psychique, pour être réalisable chez les parents puis chez l’enfant, autant que chez nous, est nécessairement précédé chez le pédo-psychiatre d’un travail de représentation, de rêverie au sens Winicottien du terme, de mise en sens du symptôme ou de la demande, tenant compte des niveaux intra, inter-psychique, trans-générationnel et environnemental de la situation amenée en consultation, sans omettre "l’éveil" ou la position de "veille" contre-transférentiel, fil continu durant toute la prise en charge.

Le jeu, l’observation, le dessin y prennent une place prédominante, ainsi que la rêverie, l’absence de position d’omnipotence sur un symptôme mais au contraire l’acceptation de ne comprendre qu’après-coup, en fonction de ce que l’enfant va co-construire dans la prise en charge pour traduire ses conflits ou impasses de développement.

Les effets de transformation chez l’enfant, que l’on peut attendre dans une consultation pédopsychiatrique, vont donc d’abord nécessiter une évaluation préalable du "terrain psychodynamique familial", du désir et des fantasmes des parents vis-à-vis de cet enfant, de leurs propres références ou traces affectives et éducatives et le travail d’une alliance parentale suffisamment bonne.

Quasiment dans le même temps se fera l’évaluation psychopathologique de l’enfant ou de l’adolescent à travers des temps de consultations suffisamment longs pour que se tissent des liens, pour que se déposent une confiance, une curiosité, ou un inconfort, pour que s’ébauchent un dépôt, une élaboration, une dialectique ou une résistance.

Le processus thérapeutique est essentiellement psychothérapeutique, et exceptionnellement chimio-thérapeutique chez l’enfant et l’adolescent, étant données les particularités et les risques pharmaco-dynamiques chez eux, il n’est pas inutile de le rappeler. Dire psychothérapie signifie se donner les moyens théoriques à travers la relation thérapeutique et humaine d’avoir un impact ou un effet soignant, c’est-à-dire de chercher et de déclencher des effets permettant une libération de la souffrance amenée initialement en consultation et chez l’enfant plus précisément une ré-appropriation de son propre fonctionnement intra-psychique et une sortie des impasses de dévelop-pement, dans lesquelles il est enfermé.

Entre empathie discrète et fermeté du cadre, entre différenciation trans-générationnelle maintenue entre l’enfant et le pédopsychiatre, équivalent de la règle d’abstinence dans les cures d’adultes et capacité de rêverie et d’identification projective, entre position d’étayage à certains moments et attitude induisant des frustrations chez l’enfant à d’autres, entre fantasmes fondateurs (de retour à la vie intra-utérine, de castration, de séduction, de scène originaire) et réalité, la variété des temps et des niveaux intra-psychique ou extra-psychique est une constante dans le travail psychothérapeutique du pédopsychiatre avec une nécessité de créativité, de co-construction permanentes entre l’enfant, le médecin et les parents qui sont plus "réels" dans la consultation, puisque présents dans le quotidien de l’enfant, que dans les cures d’adultes où ils sont remémorés.

Ce travail psychothérapeutique est aussi toujours à la fois un travail pendant le temps de séance et un travail dans l’après-coup, dans l’entre-deux des séances, un travail également de contrôle et d’évaluation des tâches aveugles de notre propre contre-transfert grâce à des lieux d’échange, de supervision ou contrôle, d’écriture de ces prises en charge.

Ces outils seront déclinés de façon souple dans le temps, ferme dans leur cadre, chez un même patient et tiendront compte avant tout de la clinique et de la relation transféro-contre-transférentielle : conseil à travers une guidance, co-étayage à travers la consultation thérapeutique, énoncés interprétatifs dans les premières consultations, entretiens parents-enfant ou thérapie familiale, psychothérapie individuelle, thérapie mère-enfant, selon les situations.

Prendre un enfant par la main de façon respectueuse de son milieu, de sa culture, de sa différence, de son unicité, de sa temporalité, de ses traversées conflictuelles intra-psychiques ; en essayant de, ni trop le devancer, ni trop le perdre… Paradigmatique disais-je en introduction pour la psychothérapie du pédopsychiatre…

Françoise COINTOT
Saint-Malo


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