Chronique d'un silence organisé
Juste avant l’été 2004 on nous a concocté une réforme de l’Assurance Maladie : enfin des recettes pour combler le trou de la Sécu !! On nous explique que c’est la réforme de la dernière chance, sinon on nous menace d’un système de franchise en fonction des revenus…
Tout le monde se relaie pour dénoncer un déficit tel, qu’il nécessite cette "contre" réforme alors que ce déficit n’a pas de sens en lui-même, qu’il est un solde résultant de l’évolution différenciée des recettes et des dépenses dans un système de protection sociale solidaire et que par là même il est plus complexe que ce qu’on veut nous faire croire.
Ceci montre bien que plutôt que de focaliser sur ce fameux "trou de la Sécu", il est nécessaire d’ouvrir une réflexion sur la volonté politique de défendre un mode de fonctionnement qui est opposé à la pensée dominante actuelle et sur le mauvais partage de la richesse générée par le travail de tous.
De plus cette loi est à peine annoncée que l’on parle déjà d’une éventuelle franchise, comme si on ne croyait pas aux recettes comptables proposées pour financer les besoins et qu’un autre fonctionnement soit déjà envisagé voire prévu.
Il ne s’agit pas de défendre paresseusement le statu quo actuel, mais de tenir compte des marges de manœuvres qui existent (dont on ne parle pas) et qui permettent de déplacer le "curseur" en se basant sur le principe de solidarité.
Mais surtout qu’en est-il de ce silence radio généralisé face à cette réforme, tant sur le plan politique, syndical que médiatique face à cette réforme et surtout sur ce qu’elle véhicule comme discours aux dépens d’une politique solidaire.
Chapeau ! Quelle belle leçon de politique et quel numéro de duettiste bien orchestré, appuyé sur une partition mise en place depuis de nombreuses années par tout ce que regroupe les différentes instances gouvernemen-tales et les médias qui en "dérivent".
Si on n’a pas compris qu’il y avait un trou, que dis-je un puits, un gouffre et on ne sait même plus quel mot employer pour parler du trou de la Sécu, c’est qu’on est sourd à tout ce qui se dit, s’écrit ou alors on est vraiment "de mauvaise foi".
Si nous tentons un autre discours en envisageant une autre approche, on va encore nous rétorquer que nous sommes des mauvais penseurs rebelles à toutes réformes, des opposants radicaux qui vont jeter un peu d’opprobre, même si leur nombre est réduit…
Mais cela ne nous empêchera pas de nous exprimer, de nous opposer et de dire que plutôt que d’essayer une analyse de fond sur un système envié de tous et qui repose sur la solidarité comme fondement essentiel, on préférera reprendre l’air du temps et chercher à tout prix des responsables.
En plus d’une approche comptable orientée qui devrait réduire les dépenses, on en rajoute du côté d’une logique de culpabilisation des assurés sociaux.
À chacun son tour, après les professionnels de santé responsables de tous les maux c’est maintenant les "usagers".
Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt !… Il suffit d’appréhender la réflexion sur un mode de causalité linéaire et alors là on déploie tout un argumentaire nocif mais ô combien efficace ! Tel que :
- les médecins abusent du système, sans se rendre compte du coût occasionné par leur fonctionnement,
- les usagers abusent, voire "trichent" et profitent des avantages du système.
Si on veut être efficace, rigoureux, pragmatique en un mot un bon politique médiatique on doit pointer du doigt ces coupables, responsables du "gouffre" de la Sécu et surtout comme étant ceux qui abusent de la manne de la solidarité nationale.
Ils ont fauté ! Il faut les faire payer, les punir et les surveiller.
Tout d’abord les "usagers" : le terme à lui seul montre bien la précarité et une inscription dans la fabrique des exclus.
Ils ne cotisent pas assez, alors on va leur rajouter l’euro par consultation (excluant bien sûr la CMU, ils ne sont même pas solvables, il ne faut pas exagérer...).
Comment vont réagir les personnes les plus fragiles sur le plan de la santé, les plus âgées et les plus démunies (qui sont juste au dessus du plafond de la CMU) sachant que le soin va devenir un luxe pour eux ?
Somme certes doublement symbolique, car en commençant avec l’euro, on vient rompre cette chaîne de la solidarité de la gratuité du soin et on entrouvre la porte de la marchandisation du soin.
Mais que nenni, nous répondent-ils, pour ces plus démunis on va leur proposer une baisse tarifaire en fonction de l’âge pour l’acquisition d’une complémentaire et les "gentilles" assurances qui les feront bénéficier de cet avantage auront un crédit d’impôt.
On mesure à quel point nos "responsables" ne se rendent pas compte, même avec des avantages d’accès, ce que représente le coût d’une mutuelle (sachant par exemple qu’il double pour une personne âgée).
Par ailleurs, il est bon de savoir qu’il n’y aura pas de crédit d’impôt pour les mutuelles qui remboursent l’euro supplémentaire ou le patient allé directement chez son spécialiste avant de voir son médecin traitant.
Cet accord à trois entre l’État, les mutuelles et les usagers (même s’ils n’ont pas donné leur avis) montre bien comment va être régulé ce qui doit être remboursé dans l’esprit d’un panier de soins et donc qu’il va falloir payer de plus en plus pour être remboursé de moins en moins.
Pour en finir avec l’usager on va lui faire bien comprendre que c’est la faute des profiteurs et des abuseurs s’il y a un trou de la Sécu, même si en réalité la fraude est plus que marginale... qu’importe... il profite.
L’important c’est de culpabiliser, de stigmatiser tout un chacun comme responsable de ces abus qui serait la cause prioritaire du déficit.
Il suffit d’un climat de suspicion qui pointe du doigt des responsables et coupables "qui feraient profiter tout leur clan..." pour jeter le trouble et créer une ambiance délétère.
Alors on va à grands frais mettre une photo sur la carte vitale (on ne sait pas si c’est de profil ou de face, ou peut-être les deux…) mais dans cette logique pourquoi pas une empreinte digitale ou rétinienne, ce serait plus sûr et on tendrait vers le risque zéro… en terme de tricheries !
En martelant cette donnée marginale le gouvernement dans un climat de suspicion désigne l’autre comme responsable, cet autre sous entendu… le pauvre, le démuni, l’étranger…
Ce qui ressort de cette réforme, en dehors de son iniquité, de son injustice, de sa dominante répressive sur le plan financier, de son atteinte aux libertés individuelles c’est que le malade est mis sur le marché et que c’est lui qui va payer dans tous les sens du terme.
Marseille