L'audition à l'Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS)

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 39 - Octobre 2004

Cette question de la démographie avait été le point de départ de la réunion de la majorité des syndicats de psychiatres au sein du C.A.S.P., puis d’un chapitre du Livre Blanc de la psychiatrie.

Lors de son rapport sur "la démographie des professions de santé" remis fin 2002, la commission dirigée par le professeur Yvon Berland concluait pour la psychiatrie en une redéfinition des missions et la création de nouveaux métiers. Elle énonçait, je cite : "Les psychiatres pourraient être déchargés, après avoir éliminé toute pathologie psychiatrique délirante ou à risque suicidaire, d’une partie de la souffrance psychologique et du mal être par une collaboration étroite avec les psychologues cliniciens dont la formation serait reconsidérée et adaptée".

Notre discipline y était réduite en deux lignes à des symptômes qui, pris isolément, n’ont aucun sens. S’il en était besoin, ce rapport justifiait à lui seul la tenue quelques mois plus tard des États Généraux de la Psychiatrie, et ses conclusions annonçaient le peu de cas que le ministre Mattei allait faire des 22 propositions issues de cet événement majeur heureusement relayé par la presse.

L’O.N.D.P.S. n’a consacré qu’une seule audition concernant la psychiatrie le 7 avril 2004 d’une durée prévue de 2 heures, à laquelle j’avais été sollicité par la FFP pour représenter la psychiatrie privée.

La réunion commence par une présentation d’une évaluation chiffrée du nombre de psychiatres en activité dans la France entière : 11 755 alors que le fichier de l’Ordre n’en recense que 10 867...

Nous abordons ainsi la question du nombre de postes de PH non pourvus et le recours à des médecins généralistes assistants. Ceux-ci, une fois le concours de PH obtenu, demandent leur qualification de psychiatre à l’Ordre des Médecins pour ensuite venir exercer en libéral, s’inquiète la commission (décret du 19.03.04 et le statut des médecins généralistes nouveau régime).

La dérogation à la formation par la seule filière universitaire s’est faite à la demande de la profession dit la DHOS. Ainsi la filière parallèle serait devenue plus importante que la filière universitaire. Le Pr. Aussilloux est très inquiet de cela (filière universitaire avec l’examen de fin d’étude qualifiant d’un côté et de l’autre, entrée non régulée sans réel contrôle de la qualité de la formation).

L’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé veut donc procéder à une identification des besoins.

La DHOS de son côté insiste sur le nombre important de psychiatres en France qui serait ainsi sur ce plan le deuxième pays au monde et la situation de Paris où l’on voit s’y concentrer 1/3 des effectifs. Ces deux éléments restent très prégnants, cela permet aux pouvoirs publics de faire la sourde oreille à toutes les demandes des organisations professionnelles.

De même, la méconnaissance de l’ampleur du travail effectué par les psychiatres libéraux reste un point d’achoppement pour aborder sereinement cette dimension de la libre pratique essentielle en psychiatrie. En effet, après une discussion sur les inégalités de répartition géographiques sur le territoire national des psychiatres publics, les diversités des missions qui leur sont confiées et l’importance de la demande de soins dans la spécialité, j’ai pu parler du parallélisme d’inégalité entre publics et libéraux et aussi de l’idée préconçue de la nécessaire "proximité" immédiate qui méconnaît la mobilité des patients qui consultent.

La représentante de la CNAM-TS/DES/DEPAS présente ensuite une étude sur les psychiatres libéraux en 2002 en France métropolitaine. Il y apparaît que sur les 6 035 psychiatres recensés, l’évolution des effectifs des psychiatres libéraux de 98 à 2002 s’est accrue chaque année de 0,7 %, l’âge moyen des hommes (50,6 ans) et des femmes (49,8 ans), 62,5 % d’hommes, 37,5 % de femmes (total spécialistes : 70,4 % &Mac220; 29,6 %).

L’évolution 1998 - 2002 de l'activité des psychiatres libéraux : le taux de croissance annuel moyen (en nombre d’actes) serait de 2,7 %, en immense majorité des actes CNP et C, ce qui n'est pas très clair...

Nombre d’actes par APE (actif à part entière, notion propre à la CNAM) en 2002 : 2 877 soit + 3,1 %.

Dans les DOM en 2002, l’effectif diminue.

Ensuite nous avons pu parler du médico-social, oublié de l’étude d’activité des psychiatres, de la question de la réforme de l’internat qualifiant et de la 4ème année hors filière ; et, en toute fin de réunion est abordée la question du transfert de compétence.

Pour les membres de l’O.N.D.P.S. le problème de l’existant est que la chute démographique se poursuivra pendant encore longtemps, que faire ?

Les psychologues cliniciens peuvent-ils nous relayer ? J’ai pu dire que les psychologues avaient pu bénéficier, dans le meilleur des cas, d’une formation théorique à la psychopathologie par leur DESS, mais n’avaient pas tous une garantie de formation clinique dans leurs stages, sans parler de leur méconnaissance des pathologies somatiques (diagnostic différentiel).

Quoi qu’il en soit, pour l’A.F.P.E.P.- S.N.P.P., les psychiatres libéraux refuseront de prescrire les soins cliniques effectués en ville par les psychologues. Cette réunion ne permettait pas d’aller au fond des choses.

Le professeur Berland a alors reconnu qu’en 2 heures il avait vu trop juste pour la psychiatrie.

Cela confirmait ce qui apparaissait évidemment dans son rapport.

Devant ce peu d’attention portée à notre discipline un texte de présentation de la psychiatrie libérale leur fut envoyé afin de souligner les avantages de celle-ci, de préserver le nombre de ses acteurs à égalité avec ceux du public et d’en montrer l’utilité en tant que professionnels irremplaçables et non interchangeables.

En effet, la difficile question du transfert des tâches ne doit pas être éludée ou simplifiée en assimilant la psychiatrie aux autres spécialités du M.C.O.

Ainsi la proximité, la permanence et la continuité des soins, l’accueil des patients, les urgences, la consultation, sa personnalisation et sa confidentialité, et le type de traitement méritent d’être éclairés quant à la spécificité de l’exercice de la Psychiatrie.

En ce sens :

1 - il nous apparaît que la psychiatrie libérale n’est pas plus mal répartie sur le territoire que la psychiatrie publique (car beaucoup de postes de P.H. non pourvus sont occupés par des généralistes et beaucoup de médecins étrangers) ;

2 - la psychiatrie libérale a anticipé quelque chose de la mobilité des usagers, la plupart se déplacent pour leur travail comme pour aller voir le psychiatre ;

3 - bien que nombreux, 6 500, pourquoi n’arrivons-nous pas à faire face aux demandes et pourquoi celles-ci augmentent-elles ? Une des raisons majeures de ces dernières années est le transfert de charge sur les psychiatres privés lorsque les secteurs psychiatriques publics sont saturés, le psychiatre de ville étant souvent plus accessible et efficace. L’augmentation des demandes s’explique aussi par l’augmentation des souffrances liées aux nouvelles organisations du travail (harcèlement moral, moindre reconnaissance humaine des personnes, voire management par la terreur dans certaines entreprises) et à l’insécurité de l’emploi alors que les pathologies psychiatriques continuent à sévir : névroses, états limites (troubles de la personnalité) et psychoses bien-sûr.

Conclusion : face à cette saturation de l’offre de soin, les psychiatres libéraux peuvent accepter :

- des incitations à de nouvelles proximités, pas le quartier mais le lieu de travail ;

- plus de psychiatres formés pour maintenir le niveau actuel des effectifs : le consensus est assuré entre psychiatrie libérale, publique et universitaire (cf. le Livre Blanc et les 22 mesures d’urgence des conclusions des États Généraux).

Ainsi, nous sommes pour des incitations, pas des interdictions.

En effet, la demande psychiatrique est tellement importante que les jeunes échapperont à la contrainte plutôt que d’aller par obligation.

Quant à la question du transfert de compétence : il n’est pas question de prescrire leurs soins cliniques comme à des paramédicaux. Il va de soi que nous avons tous en ville et en institution des collègues psychologues cliniciens très compétents et bien formés cliniquement, dont nous estimons et apprécions la qualité du travail, et avec lesquels nous nous coordonnons et collaborons fructueusement car nos métiers sont complémentaires. En aucun cas, leur activité ne pourra "remplacer" tout ou partie des consultations thérapeutiques des psychiatres de ville.

Antoine Besse
Mantes-la-Jolie


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