Psychiatrie en cabinet de ville et maladie mentale

Olivier Schmitt
Retour au sommaire - BIPP n° 53 - Novembre 2008

À part nos patients, et nous-mêmes, qui peut vraiment savoir ce qui se passe dans le secret de nos cabinets ? Ce que l'on ne connaît pas laisse bien souvent la porte ouverte à l’imaginaire ou bien encore est ignoré dans sa réalité. Or, nous recevons dans le secteur privé autant de malades en grande souffrance que ceux qui sont suivis par les services pluridisciplinaires publics (file active équivalente). Certes, ce ne sont pas les mêmes, ou en tout cas pas aux mêmes moments de leur évolution. Ce sont bien souvent des patients qui, par leur personnalité, leur histoire, leur fragilité voire la gravité de leur pathologie, ne sont pas prêts, ou pas à même de pouvoir supporter la prise en charge du soin par des intervenants multiples ni de se confronter à la pathologie des autres malades.

Les psychiatres de cabinet libéral ne soignent pas indûment des souffrances existentielles “normales” ; dire cela serait un véritable déni de la maladie mentale et de ses processus. Dire encore que la consultation d’un psychiatre de ville n’est justifiée que lorsqu’il y a nécessité de prescription médicamenteuse ou besoin d’un avis d’expert serait, sans aucun doute, le fait de ceux qui n’ont pas l’expérience de cette pratique.

Dans la très grande majorité des cas, les malades que nous recevons présentent une souffrance psychique signant une faille dans la structuration de la personnalité, sans qu’il s’agisse forcément de psychose. Ces failles sont parfois sans grande conséquence immédiate sur la vie professionnelle et familiale mais comportent un risque important de décompensation. Ne faudrait-il soigner que lorsqu’il est trop tard alors même que, bien avant, la demande de l’intéressé se manifeste ? Dans ces cas, une hospitalisation n’a souvent pas lieu d’être, est inutile voire contre-productive. Ces personnes n’ont pas toujours besoin de recevoir un traitement chimiothérapique, cette intervention cependant possible est à évaluer à chaque consultation. L’approche psychothérapique spécialisée permet d’éviter bien souvent ces décompensations dramatiques et, même si cette faille n’est pas toujours réparable, au moins peut-on permettre à ces patients de réaménager à terme des systèmes de défense plus efficaces et moins coûteux psychiquement pour eux et pour leur entourage. Négliger ce coût psychique se paye tôt ou tard par de grandes souffrances sociales et par des coûts économiques désastreux.

Encore faut-il que ceux qui les soignent aient une formation et une expérience approfondies en médecine et en psychopathologie et qu’ils soient en nombre suffisant pour prendre en charge ces malades souvent exclus des statistiques puisque les effets d’une prévention primaire ne sont pas mesurables, donc pas évalués.

Certes, l’intensité d’un symptôme ou d’un syndrome peut toujours s’évaluer, en admettant toutefois que cette mesure est le plus souvent subjective, mais cela ne nous renseigne pas ou si peu sur son origine, sur les processus psychiques sous-jacents. Or, ce sont justement ces processus qui vont nous renseigner sur la stratégie thérapeutique à mettre en place. Nous recevons des états dépressifs légers dans le cas de processus psychopathologiques graves comme nous recevons des états dépressifs impressionnants par leur intensité dans le cadre de processus psychopathologiques bénins.

Parmi les nombreux processus pathologiques à l’origine d’une perte de santé mentale, les psychiatres privés reçoivent donc des malades aux tableaux cliniques très divers. L’accès aux soins de ces personnes exige des conditions de travail particulières. L’exercice libéral offre le cadre nécessaire à un opératoire spécifique indispensable à notre action thérapeutique, préventive et complémentaire des services hospitaliers.

- Il s’agit de la liberté de choix et d’accès au psychiatre qui doit pouvoir se faire à l’insu des autres intervenants. Sans cette liberté, nombre de nos patients ne viendraient pas nous voir, ou trop tard.

- Il s’agit de l’unicité forfaitaire de notre acte et de son paiement qui évite toute suspicion de tri des pathologies suivies et laisse la place à l’inventivité indispensable à notre efficacité en évitant des protocoles réducteurs qu’induirait une nomenclature éclatée.

- Il s’agit de la confidentialité non partagée indispensable à la liberté de parole des patients. Ce n’est d’ailleurs pas sans irriter parfois nos confrères.

La recherche de transparence est compréhensible dans une organisation rationnelle des soins, mais elle a ses limites car elle doit respecter le ressort même de notre efficience. Nous voyons là l’importance de la spécificité inhérente à la psychiatrie.

Par ailleurs, il nous paraît indispensable que la fonction d’expert, que nous ne réfutons pas, soit assumée par des praticiens aguerris à la confrontation permanente à la psychopathologie générale et à ses traitements. C’est pourquoi, dans un souci éthique, la plupart d’entre nous ne veulent pas se limiter à cette activité.

En France, les conditions exceptionnelles des soins en psychiatrie libérale ont été possibles avec développement de la protection sociale qui a solvabilisé les patients quels que soient leurs revenus. La pertinence de ce secteur d’activité en termes d’efficacité et de complémentarité explique le choix, pour la moitié des psychiatres français, de s’orienter vers l’exercice libéral à temps complet ou partiel, malgré la relativement faible attractivité financière de ce type de pratique.

Enfin, les atteintes à la fonctionnalité de la psychiatrie publique nous touchent par ricochets mettant parfois à mal la souplesse de notre complémentarité.

Nous travaillons au sein de nos associations scientifiques à maintenir la recherche clinique et psychodynamique, tant au niveau national qu’international. Nous pouvons observer, même aux États-Unis, un mouvement de résistance aux simplifications abusives. Aussi, nous comptons sur les responsables politiques français pour soutenir notre pratique et permettre à la psychiatrie de rester une discipline à la recherche permanente de plus d’humanité et d’efficacité. Cette attention à la personne ne peut être que bénéfique, tant en termes de santé publique qu’en termes d’économie.

Dr Olivier SCHMITT
Psychiatre — Niort — Président de l’AFPEP-SNPP


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