Le secteur psychiatrique privé dans le dispositif hospitalier français
Les principes
La France dispose d’un système hospitalier original, quasi unique au sein de la communauté européenne. Cette originalité repose sur la présence d’un secteur privé, complémentaire du secteur public, pris en charge par l’Assurance Maladie, et donc accessible à tous les patients quels que soient leurs revenus. Le pluralisme, la qualité et l’accessibilité des prestataires de soins hospitaliers financés par la solidarité nationale sont les composantes majeures d’un système de santé dont la qualité est unanimement reconnue par l’ensemble des instances internationales.
Les acteurs en présence
L’offre de soins publique couvre l’ensemble du territoire et repose sur la sectorisation psychiatrique, norme française d’accessibilité et de continuité des soins. Chaque secteur dispose d’une capacité d’hospitalisation à temps complet assurée par les grands hôpitaux psychiatriques publics, et une gamme de soins ambulatoires diversifiés, (CMP, CATTP et hôpitaux de jour). Ce secteur a une capacité de 60 000 lits d’hospitalisation à temps complet et de 25 000 places à temps partiel. Il emploie 6 000 psychiatres salariés.
L’offre de soins privée est constituée par 156 établissements, dont 13 cliniques de soins de suite et de réadaptation. Ce secteur représente 12 000 lits et emploie 1 000 psychiatres et médecins généralistes libéraux. Il existe de fortes disparités régionales d’implantation.
Ces établissements privés travaillent en collaboration avec les cabinets médicaux des médecins généralistes et des 6 000 psychiatres libéraux qui constituent les soins ambulatoires privés.
En vingt ans, l’activité de ces deux secteurs a profondément évolué sous la pression conjuguée de plusieurs facteurs, notamment :
- La « désinstitutionnalisation », c’est-à-dire la diminution massive des lits du secteur public, incapable à l’heure actuelle d’assumer pleinement ses missions de service public.
- La forte croissance et la destigmatisation des pathologies mentales, mieux identifiées et mieux prises en compte en terme de santé publique.
- L’augmentation exponentielle des demandes de soins et du niveau d’exigence des patients en matière de prise en charge.
- Enfin, l’évolution considérable des pratiques professionnelles en psychiatrie.
Aujourd’hui, la collaboration entre ces deux secteurs est aussi indispensable qu’indiscutable et quelques chiffres suffisent à démontrer le rôle essentiel de l’hospitalisation privée dans l’offre de soin globale et sa véritable mission de service public.
Avec 20 % de la capacité hospitalière nationale, le secteur privé accueille et soigne, chaque année, 140 000 patients en hospitalisation complète, contre 300 000 patients dans le secteur public, ce qui représente plus de 30 % du total des hospitalisations. Dans certaines régions, le secteur privé représente plus de 50 % des hospitalisations et pour certaines pathologies, comme la dépression, par exemple, 70 % des hospitalisations nationales.
Enfin, la file active du secteur privé ambulatoire, qui prend en charge deux millions de patients par an est le double de celle du secteur public.
Les caractéristiques de l’offre de soins privée.
D’une façon générale, la complémentarité du secteur privé se caractérise par plusieurs atouts spécifiques à ce secteur qu’il convient de souligner car ils garantissent aux patients
- La liberté de choix de leur établissement de soins et de leur psychiatre. Ce principe fondamental, inscrit dans le code français de santé publique, revêt bien sûr une importance à la fois thérapeutique et éthique. Les patients suivis par le secteur public dépendent des structures de soins attachées à leur secteur géographique et ne peuvent malheureusement pas choisir leur établissement et leur équipe de soins.
- La possibilité d’être accueillis quelles que soient leur pathologie et leur condition sociale dans des établissements à taille humaine (de 80 à 100 lits en moyenne), prodiguant des soins personnalisés. La seule exception concerne les patients hospitalisés dans le cadre de mesures de contrainte légale qui relèvent exclusivement de l’hôpital public. Les anciennes mais tenaces représentations sociales “le secteur privé pour les riches, le secteur public pour les pauvres” ou “les pathologies légères pour le privé et les pathologies lourdes pour le public” n’ont plus de sens en France, mais semblent encore conserver leur noyau dur dans certaines instances tutélaires.
- L’assurance de recevoir des soins de qualité qui peuvent s’inscrire dans la durée et la continuité d’un véritable parcours de soins (intra et extra-hospitalier). C’est d’ailleurs en s’inspirant du secteur privé que les pouvoirs publics se sont engagés dans une démarche d’évaluation constante de la qualité nécessaire à la certification des établissements de santé.
- Enfin, le maintien d’une liberté et d’une grande diversité des projets thérapeutiques élaborés, dans chaque institution, par des praticiens libéraux soucieux de leur indépendance professionnelle. Cette « psy diversité » française est le fruit d’une grande tradition clinique, psychanalytique et philosophique, réfractaire aux univers de soin trop standardisés, quantifiés et surveillés, plus proche de l’utilitarisme anglo-saxon.
Dans des domaines plus précis, à présent, le secteur privé collabore étroitement avec les services d’urgence des hôpitaux publics, pour l’orientation et les prises en charge secondaires des patients. Les cliniques privées n'ont pas vocation d'avoir des services d'urgence qui nécessitent des moyens spécifiques et coûteux (unité de soins dévouée, personnel important, moyens juridiques). Elles mettent par contre tout en œuvre pour accueillir le plus rapidement possible les patients toujours en état de crise ou de décompensation lorsqu'ils nécessitent une admission.
Il offre, aussi, une véritable alternative et des compétences reconnues :
- Sur des lignes de soins particulières, comme les nouvelles pathologies (troubles des conduites alimentaires, troubles anxieux) les psychoses chroniques et les conduites addictives (alcool, toxicomanies).
- Sur la prise en charge spécialisée de populations particulières :
- services réservés aux adolescents.
- secteurs de gérontopsychiatrie.
Difficultés et perspectives d’avenir
Malgré ses performances et sa qualité, le secteur privé rencontre actuellement de graves difficultés, dues essentiellement à l’inégalité de traitement et de financement par rapport à l’hôpital public, dans le contexte difficile d’une maîtrise accrue des dépenses de santé. Il ne perçoit que 6 % des dépenses consacrées à la psychiatrie
Fortement contingenté, sous le contrôle de l’état qui refuse bien souvent les créations ou les extensions d’établissement, il ne doit compter que sur ses propres efforts de gestion et de productivité car sa tarification au prix de journée est largement insuffisante (trois à quatre fois inférieure aux prix pratiqués dans l’hôpital public pour le même type de soins) et il est en général écarté des plans nationaux d’aide au financement des investissements immobiliers (rénovation hôtelière et mise en conformité).
Infléchir les politiques publiques vers une plus grande reconnaissance de l’hospitalisation privée dans sa mission de service public permettrait :
- de favoriser dans le cadre des schémas régionaux d’organisation et d'aménagement sanitaire, la création d'un secteur privée dans chaque territoire de santé afin d'étendre la complémentarité des secteurs.
- de donner au secteur privé de véritables moyens par une tarification correspondant à la réalité de leur activité et du coût des soins pratiqués avec, à terme, une convergence tarifaire avec le secteur public autant pour l'hospitalisation à temps complet que pour les alternatives à l'hospitalisation.
- d’élargir l’horizon de ses compétences à l’ensemble des missions d’intérêt général, notamment la formation des internes et la recherche.
Dr Hervé Granier
Psychiatre — Montpellier
Secrétaire général adjoint à l’hospitalisation privée de l’AFPEP-SNPP
Les psychiatres libéraux exerçant en clinique
Problèmes actuels et perspectives
Les psychiatres privés souhaitent attirer votre attention sur les points suivants :
1) L’évolution de la psychiatrie privée.
En effet, pour les raisons précédemment citées, les praticiens sont confrontés à une activité de plus en plus importante des établissements et des prises en charge de plus en plus lourdes.
Au travail institutionnel proprement dit (réunion d’équipes, élaboration de l’organisation des soins, participation aux différentes activités thérapeutiques, rencontres avec les familles et les différents intervenants en amont et en aval de l’hospitalisation) se sont progressivement ajoutées des contraintes de plus en plus lourdes dues aux nouvelles fonctions transversales qu’imposent la démarche qualité et la certification des établissements (CME - CLIN - CLUD - évaluation des pratiques professionnelles et de la qualité des soins de l’établissement - recueil des données informatisées dans le cadre du futur PMSI … etc..).
Les psychiatres assument cette charge croissante, désormais aussi indispensable à l’organisation des soins qu’à l’administration des établissements, sans aucune reconnaissance ni financement.
De plus, les actes cliniques et leurs honoraires (C de surveillance - CNPSY 0,8) ont été écartés des revalorisations tarifaires prévues par la Convention, alors que les soins psychiatriques en clinique représentent l’exemple même de la coordination des soins.
2) La mise en cause progressive de l’exercice libéral.
La psychiatrie libérale en clinique privée repose sur un principe fondamental qui est celui de la dissociation des ressources liées à l’activité médicale des médecins de celles qui concernent l’hôtellerie et les soins fournis par la clinique.
Les psychiatres libéraux sont rémunérés par des honoraires versés par les patients. Le système est bien sûr solvabilisé par la Sécurité Sociale et les mutuelles qui remboursent les frais engagés par les patients (honoraires - frais d’hospitalisation - frais pharmaceutiques). Chacun connaît le faible engagement des assurances privées dans le remboursement des soins psychiatriques privés et ses conséquences sur l'accès aux soins des plus démunis.
Sous la pression des grands groupes hospitaliers qui s’emparent progressivement de l’ensemble du parc hospitalier psychiatrique français, de plus en plus de psychiatres libéraux sont remplacés par des psychiatres salariés dans le but de mieux maîtriser la présence et l'activité des psychiatres dans leurs établissements. Cette évolution vers le salariat s’effectue d’ailleurs avec la complicité des caisses d’Assurance-maladie qui, pour des raisons idéologiques préfèrent ce statut et n’hésitent pas à payer les honoraires des médecins directement aux directeurs d’établissements qui transforment ces honoraires en salaires et en charges ce qui va à l’encontre des principes fondateurs et de la nomenclature.
Il y a là bien sûr une atteinte fondamentale aux principes de la psychiatrie libérale et un risque majeur pour l’indépendance professionnelle des praticiens qui exercent dans les cliniques psychiatriques de court et moyen séjour.
3) Le problème de la permanence des soins en clinique privée
Le décret ministériel du 7 novembre 2006 modifiant l’article D 6 124 - 46 du code santé publique a profondément modifié le cadre légal de la permanence des soins dans les cliniques psychiatriques privées.
Nous ne reviendrons pas sur les conditions de cette réécriture prématurée des dispositions opposables relatives à la permanence des soins, rédigée sur l’insistance des gestionnaires d’établissements.
Ce décret, aux imprécisions manifestes et de l’aveu même du Conseil d’État, mal rédigé, est critiqué par l'ensemble de la profession y compris par ceux qui l'ont inspiré. Vous trouverez en annexe deux textes qui résument l’analyse et la position de notre syndicat sur cette question.
Il convient de rappeler que, quelle que soit la solution qui sera retenue, les soins en clinique sont des soins de deuxième recours qui imposent l’intervention des praticiens dans leur domaine de compétences et de qualification À ce titre, la permanence des soins somatiques doit être bien différenciée de la permanence des soins psychiatriques et financées dans le cadre des contrats d’objectif et de moyens.
4) L’absence de concertation entre les différents acteurs du système de soins.
Si les représentants syndicaux des psychiatres privés exerçant en clinique n’ont pas été consultés au sujet de cette permanence des soins. Ils ont été, une nouvelle fois, écartés des discussions qui se sont engagées sur la réforme des normes de fonctionnement des établissements.
Certes, il y a là une vielle habitude des formes dictée par le cloisonnement de financements (médecins/ établissements).
L’UNCAM discute avec les confédérations de médecins et la DHOS avec les fédérations hospitalières.
Sur de telles questions, ce cloisonnement, source de dysfonctionnement, devrait être levé car, malheureusement, le gouvernement, lorsqu’il crée des sujétions dans l’organisation du système de santé n’est pas lié par les décisions prises par l’UNCAM et les partenaires conventionnels en matière de codification et de tarification des actes. Les psychiatres sont ainsi renvoyés a des négociations contractuelles avec leur établissement.
Les établissements, par ailleurs, n'ont pas besoin d'un accord obligatoire des CME pour signer avec les ARS des contrats d'objectif et de moyen qui engagent pourtant les médecins.
Si une telle politique publique se poursuit, les psychiatres, dont le déclin démographique est programmé, vont continuer à se désengager des établissements au profit de leur cabinet. Les "postes vacants" qui étaient jusqu’à présent l'apanage du secteur public en difficulté, commencent à se multiplier aussi dans les cliniques privées et ce secteur va lui aussi rencontrer des difficultés pour assurer sa mission de santé publique dans une organisation globale de notre système de santé.
Dr Hervé Granier
Psychiatre — Montpellier
Secrétaire général adjoint à l’hospitalisation privée de l’AFPEP-SNPP