Paris - Journées Nationales 1973

Le retour du/au corps

« En son corps et son inconscient… »

D’aucuns se trouvèrent quelque peu écrasés de travail, l’année dernière, lors de 2es Journées, et derechef soutinrent qu’on ne devait point, de la sorte, surmener des esprits et des corps soumis déjà, pour la plupart, aux rythmes rigoureux et inéluctables d’une activité de clientèle à laquelle ils ne sauraient forfaire, au risque de manquer… (dans le sens où on voudra bien l’entendre !).

Partant, on se mit en demeure d’alléger le programme de travail des 3es Journées par soucis d’hygiène mentale. Moins de temps, moins de distractions, moins de thèmes – mais non des moindres. Ces thèmes choisis d’enthousiasme, secondairement critiqués, il apparaît bien finalement qu’une obscure spéculation dialectique les a armés d’une cohérence qui échappe au premier examen.

Le retour du/au corps : intuition d’une conjoncture – on en peut plus flagrante, et pourtant sans la moindre intention de plagiat. Formulation sous une double conjonction dont l’ambivalence renvoie tout aussi bien au désir qu’à l’agression : le retour de Frankenstein (ou de Dracula), le retour aux Sources, le retour au Hâvre… Après qu’il ait été renié comme réceptable de toutes les chimies, comme alibi des récusations aveugles de l’inconscient ou du « Socius » – après qu’il ait été refendu en un corps biologique et un corps fantasmé pour toujours qu’à manipuler l’un on ignore l’autre – revient-il, ce corps, pour masquer de son ombre de douteuses récupérations, pour asseoir le pouvoir du médecin en tant que technicien privilégié – ou bien, médiateur obligé du biologique au social, lieu commun de l’inscription héréditaire et des mutations existentielles, espace de la jouissance et du manque à jouir (ontologique ou pathologique), est-il enfin reconnu comme indissolublement cocontractant au plaisir et à la souffrance de l’être ? Est-il question d’être médecin ou ne pas l’être, de guérir ou ne guérir pas, ou bien d’être médecin et quelqu’un d’autre, simultanément ou substituablement ?

Exercice de groupe, exercice d’équipe : cet autre, co-opérateur obligé d’une désirable synthèse, se doit-il d’être un et en un ? Pour un meilleur repérage institutionnel, de rôles multiples les acteurs doivent-ils être multipliés ? Physiquement et socialement pointables dans une structure préalablement définie (l’équipe) ? Ou bien la dévolution de ces rôles s’effectuer sur le choix attributif du sujet (le groupe) ?

S’il s’avérait que l’équipe ou/et le groupe soient des modalités opérationnelles irremplaçables, nécessaires à un temps déterminé de l’entreprise, sont-ils pour autant utilisables par une psychiatrie libérale qui récuse toute partition essentielle des champs et des praxis, mais n’échappe pas à des spécifications particulières de méthodes et de moyens ? Notamment, ne risque-t-elle pas, en s’engageant sur de nouvelles voies, d’y compromettre ce qui la fonde : la relation duelle, personnalisée, librement consentie, préservant le secret, avec un opérateur repérable, disponible, permanent, s’interdisant ces renvois qui peuvent être vécus comme des rejets, ces délégations qui diluent tout sauf l’angoisse ?

Mais aussi ne lui refuse-t-on pas les moyens d’exercice que le pouvoir social entendrait réserver à la psychiatrie publique comme plus appropriés à réaliser le contrôle des déviants supposés, par la récupération d’une démarche réformiste, dont subsisterait l’alibi de progrès ?

Le psychiatre et la société : inquiétant destin que celui de ce personnage obligé à chaque étape de son évolution de se débattre dans les rets d’une « récupération » dont il tisse lui-même les mailles. Comme si des débris des chaînes rompues quelque ingénieux ferrailleur reforgeait un carcan chaque fois mieux ajusté, efficace à la mesure qu’on le sentirait moins…

Certes, il apparaît au prime abord plus aisé au psychiatre libéral, autonome, d’échapper aux impératifs collectifs. Peut-être moins de discerner dans sa démarche ce qui s’y glisse de projectif et d’introjecté, de préjugés culturels, de réactions de classe, de commandements sociaux.

L’analyse même, en ce procès, se parjure en protestant d’une parfaite neutralité qui se nie elle-même…

Une des formes les plus subtiles de l’entreprise demeure sans doute d’engager le psychiatre à « intervenir » à tous les niveaux de la vie sociale pour « prévenir » la genèse de la maladie, son « objet », dans l’illusion d’un pouvoir d’autant plus colporté aux foules qu’il lui échappe radicalement. Il est sollicité de juger, de trancher, on l’écoute benoîtement donner les recettes d’un bouillon qu’il n’a pas composé. On l’accule à un impossible choix entre une subversion totale qu’il ne peut, de par son rôle, promouvoir, et une totale acceptation qu’il ne veut, de par son expérience, soutenir. Ce par quoi on lui restitue secondairement une neutralité devenue aval : non plus neutre, mais neutralisé…

Peut-être ce qui fonde le psychiatre face au sujet est d’assumer cette inexpiable contradiction, cette quête de l’impossible (?) synthèse, corps/psyché, individu/société, thérapeute/témoin, de proposer l’illusion d’une stabilité, bref espace de repos, diastole d’une inexorable pulsation dialectique ?

Témoin « à décharge » dans l’éternel procès de l’homme contre lui-même, où l’aléatoire vérité s’énoncerait sous le sceau d’un nouveau serment « en son corps et son inconscient… »