Cannes - Journées Nationales 1974

L'installation, étape de la formation

On s’est proposé pour thème aux Quatrièmes Journées de réfléchir sur ce en quoi l’installation, incontestablement « moment de rupture » dans le cours de l’évolution personnelle du psychiatre, ne représente pas un aboutissement, le point d’orgue d’une formation, la simple mise en œuvre de capacités acquises une fois pour toutes, mais bien plutôt une réouverture, un point de départ : mise en place directe avec la collectivité, dans un champ non marginalisé, non protégé, non médiatisé, découverte d’une demande souvent nouvelle dans son infinie variété, affrontement irréductible de ses propres défaillances… Partant, il n’est plus tant question de faire état des compétences acquises, de la formation reçue, que de s’interroger à chaque étape sur ce qu’il en est de nos manques, de nos méconnaissances, de nos résistances : où la formation dès lors ne s’infère plus d’un programme, mais s’anime des pulsations mêmes de la pratique, de l’expérience à l’insatisfaction.

L’installation, une découverte…

Le premier événement sera sans doute la confrontation brutale avec une demande parfois radicalement différente de celle qui s’exprime à l’hôpital, à la consultation, au dispensaire. De la demande, et des réponses qu’on peut lui apporter… Cette demande, « non préparée », peu ou pas conditionnée, mais plus ou moins « codée » dans les conditions mêmes de sa genèse, sollicite chez nous une écoute plus polyvalente, plus disponible, du champ de l’organe malade à celui de l’inconscient. Elle interroge chez nous des compétences nullement acquises au travers des délégations permanentes de l’équipe nourricière. Le pluridimensionnel tend à devenir la règle, dans un jeu où, à faire l’homme-orchestre, on hésite sur la place du fou et du roi… Point de rejet, point de renvoi, ce que l’on prend ou ce que l’on laisse revêt à tout instant valeur de signe dans la relation, et ne peut être assumé que comme tel. On se retrouve responsable, sans cesse responsable, sans cesse à découvert, sans cesse vulnérable, la parole des autres ne venant plus brouiller les reflets de nos propres insuffisances.

Qu’en est-il de ce champ, de ces modes, sujet soigné ou sujet soignant, de la rencontre et de son dénouement ?

L’argent, une dé-formation ?

La relation nouvelle que nous instaurons lors de notre installation tient une de ses originalités en ce qu’un des moyens de l’échange est représenté par l’argent. Que cela fasse problème, il nous suffit de renvoyer chacun à ses débuts, à la difficulté éprouvée à réclamer ces honoraires que le patient oublie… Étape, sans conteste. Accusée sans doute par une critique violente et itérative du rapport dit de profit, ou d’exploitation, à peine contrebalancée par l’introduction, dans le cadre d’une réflexion à orientation psychanalytique, et du symbolique de l’argent, et de l’imaginaire du désir.

Savoir si assumer la relation d’argent marque une maturation, ou si l’admettre signe une régression, une dé-formation ? Savoir si l’échange d’argent se peut instrument thérapeutique, même si avec et au travers des « tiers sociaux » devenus partenaires obligés d’une nouvelle relation triangulaire ? L’interrogation ne se peut mener qu’à de multiples registres, d’où il reviendra bien, à ce point, quelque chose de formateur…

Continuité de la formation

De ce faisceau d’interrogations sur les champs, sur les modes, sur les manques, s’anime la relance de cette formation réputée close, sectionnée d’un mémoire, sanctionnée d’un oubli.

Quelle formation, et par qui ?

Vouloir proposer un standard peut apparaître dérisoire alors que bien plus que d’affiner des connaissances, aussi perfectibles soient-elles, il est question d’épanouir des aptitudes, de favoriser une maturation personnelle. Des formes de cette formation, l’on se montrerait grec, sinon décadent, à les soutenir polymorphes. Personnelle d’abord et peut-être avant tout, dont le désir naîtra, selon le registre de l’énonciation, des contradictions affrontées, plus ou moins mal, ou des manques dont la dimension technologique pourrait bien masquer d’autres béances. Collective ensuite : confrontation et échanges essentiellement, à l’écart des magistères clôturant. Relance répétitive au travers des questionnements actifs : quelle place viendrait tenir là un enseignement passif, médaillé, voire source de quelque plus-value numéraire ?

L’installation, apprentissage relationnel

Formation personnelle et interpersonnelle, elle tire sa substance du continuum même de l’expérience relationnelle thérapeutique, et de l’originalité qui y advient à partir de l’installation. Mais cette étape situe d’autres ouvertures, dans la communauté où vient s’insérer, étroitement, le psychiatre. Il n’est plus de mise, le hautain retrait de l’hospitalier… Communauté médicale d’abord, dans laquelle il faut définir sa place, ses rapports, redécouvrir la qualité du service escompté. Que ces relations soient strictement « spontanées » ou déjà régies par des règles contractuelles, il faut s’interroger dès lors sur une nouvelle demande.

Communauté humaine, plus large, à l’échelon du quartier, de la ville, de la région. Relation au travers du spectre spécifiant – déformant ? – du « être psychiatre », quête impérative d’une « dépolarisation », pour être homme parmi les hommes, et non le technicien de l’exclusion, voire de la réclusion…

Réseau relationnel où on peut sans doute jouer un rôle déterminant le conjoint, le compagnon, non spécifié, transition, médiateur naturel, partenaire d’une équipe qui, pour être élémentaire, n’en doit pas moins connaître questions et contestations…

L’installation, c’est tout cela, une découverte, une trajectoire, un foisonnement nouveau de besoins, de questions, d’inquiétudes. C’est une étape majeure dans l’histoire personnelle du praticien, et pas seulement sur le registre pragmatique, scientifique, économique. Elle exerce une fonction symbolique fondamentale, sans pour autant s’être dégagée à tous les temps du poids de l’imaginaire. Tout effort de synthèses doit en passer par une tentative de compréhension psychodynamique de la démarche. Le sens toutefois, pour autant qu’il ne se masque ou ne se dérobe, ne s’en redira pour chacun qu’au travers d’une question répétitivement déplacée, telle peut-être qu’en un mirage…