Lyon - Journées Nationales 1986

Le supposé clivage inconscient/biologique

S’agit-il, pour ces XVIes Journées, de la reprise d’un débat purement théorique, au demeurant depuis longtemps ouvert, comme la formulation un peu pédante du thème pourrait incliner à y croire ? Affrontements scolastiques entre monisme et dualisme, références à la « coupure épistémologique » entre médecine et psychanalyse, compétition, pourquoi pas, entre les « Lois de la Nature » et la « Suprématie de l’Esprit » ?

Au vrai, le questionnement – et le doute – impliqués dans cet intitulé, s’enracinent dans notre pratique quotidienne de psychiatres, confrontés que nous sommes à des faits cliniques apparemment ambivalents, comme pris dans des effets de discours qui se risquent à écarter, justement, toute ambivalence.

Faits cliniques

Ils ne cessent de nous surprendre – et c’est bien ainsi. Ce d’autant plus peut-être que nous camperions dans ce que certains dénonceront comme une indétermination ou un éclectisme théoriques – que d’autres pourraient comprendre comme refus, ou résistance à se laisser cliver par la théorie. Mais que la nature des ressorts de notre action thérapeutique puisse nous laisser perplexes – de la stimulation des défenses à la métaphore moléculaire – ne présuppose-t-il pas dans le même temps que nous fonctionnions bien intellectuellement dans le clivage, comme seule distribution conceptuelle possible ?

En tout cas, et alors même que nous aurions opté pour une position déterminée, il n’est pas sans importance que la clinique puisse nous relancer dans d’autres interrogations que celles auxquelles nos choix théoriques nous auraient préparés.

Effets de discours

Il est toute une composante du discours psychanalytique, estiment certains, qui soutiendrait le clivage entre inconscient et biologique – démarche qui ferait, en miroir, le lit de la psychiatrie dite biologique.

Il est tout un courant psychiatrique fondé plus particulièrement sur des conceptions organicistes de la maladie mentale et, à ce titre, prétendu biologique, qui rejette l’inconscient (dans la mesure où il en reconnaît l’existence ou les effets) hors du champ du « biologique » et donc de la psychiatrie. Freud est mort, a-t-on dit au Congrès de Vienne.

Il est vrai qu’en termes de discours, l’acceptation des mots se déforme, ou se triture : si biologie signifie bien étymologiquement science du vivant, il y a beau temps, et les disciplines médicales en sont pour bonne part responsables, qu’on a réduit cette science-là aux processus physico-chimiques qui sous-tendent la vie sans pour autant la signifier. Il y a beau temps aussi que, pour d’autres, excitations et pulsions, motions désormais désincarnées, surgiraient ex nihilo…, que le « corps de jouissance » serait devenu totalement étranger au corps vivant dans sa matérialité.

Clivons, clivons – ou plutôt décantons, clament aujourd’hui les pragmatistes économes : puisque le phénomène vivant et ses manipulations ne se mesurent bien qu’au niveau moléculaire, c’est là que nous devons agir, pour mieux mesurer encore – et contrôler. Il en est assez de ces « métaphores » qui ne sont au vrai, pour eux, que des fables irrecevables, dérobades obstinées à tout effort de rigueur scientifique – et économique. Et pour le cas où pourrait se soutenir la réalité de quelconques concaténations, tenons-nous en à l’étude de ces chaînons du processus de la vie passibles de ladite rigueur.

De ces faits et effets et des écarts qui se marquent entre eux, nous tenterons de rendre compte, à la recherche, peut-être, d’une cohérence nouvelle, à la quête en tout cas d’une meilleure approche des réalités de l’être vivant et parlant dont nous accueillons la souffrance et auquel nous proposons notre concours thérapeutique.