Hommage lors des obsèques d’Antoine Besse

Jean-Jacques Laboutière
Retour au sommaire - BIPP n° 63 - Décembre 2012

Dans le monde de la psychiatrie française, Antoine Besse était connu de tous. Sa haute silhouette élégante et distinguée, son sourire chaleureux, son enthousiasme et ses prises de paroles toujours passionnées se repéraient d’emblée dans toutes les assemblées auxquelles il participait. Ils resteront à jamais attachés à son souvenir.

Toutefois, si connu que fût Antoine parmi ses pairs, peu sans doute mesurent pleinement l’étendue de son travail. Psychiatre libéral, il se consacrait plus particulièrement à l’exercice de la pédopsychiatrie. Dans ce cadre, il défendait une conception à la fois sociale et ouverte de son exercice. Ainsi s’était-il installé au début de sa carrière dans un quartier défavorisé de Mantes-la-Jolie. Antoine a ensuite déplacé son cabinet en centre-ville, et très récemment à Saint- Germain en Laye.

Le travail de réseau avec les médecins généralistes et les autres professionnels était l’une des principales caractéristiques de sa pratique. Il l’avait développé dès ses premières années d’exercice et il le défendait inlassablement auprès de ses collègues libéraux, dont la majorité privilégie plutôt un exercice solitaire. Dans le droit fil de son intérêt pour la pédopsychiatrie, Antoine travaillait également dans le secteur médico-social. Il était depuis plusieurs années médecin directeur du CMPP de Marly-le-Roi.

Enfin, Antoine était psychanalyste. Son intérêt pour la psychanalyse n’était cependant pas exclusif d’une ouverture à d’autres modèles théoriques ou d’autres techniques psychothérapiques. Antoine détestait d’ailleurs le sectarisme en matière de théories. Il tenait à diversifier sa pratique et, curieux d’autres thérapeutiques que celles qu’il maitrisait déjà, il n’avait pas reculé devant une formation de plusieurs années pour y parvenir en se formant à l’hypnose ericksonnienne. Cette démarche traduit l’un de ses traits de caractères les plus marquants : Antoine était de ceux qui pensent que l’on peut toujours s’améliorer.

Parallèlement à sa pratique de psychiatre privé, Antoine était un militant d’une détermination sans faille. Membre du Bureau de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé et du Syndicat National des Psychiatres Privés depuis 1980, il a participé sans aucune interruption depuis cette date à tous les travaux de l’association et du syndicat. Dans ce cadre, il fut responsable des questions touchant à la pédopsychiatrie et à l’exercice médico-social, jusqu’à ce qu’il devienne président en 2000. Il succédait dans cette place à Gérard Bles, fondateur de l’AFPEP – SNPP. Antoine fut un président exceptionnel. Durant les quatre années de sa présidence, non seulement l’AFPEP – SNPP s’est maintenue au niveau où l’avait hissé son prédécesseur mais elle s’est encore renforcée.

Antoine a profondément modifié le fonctionnement de cette institution en développant le travail d’équipe et l’ouverture aux autres organisations scientifiques et syndicales de psychiatres. Il a suscité de nouveaux enthousiasmes qui ont significativement élargi le nombre des collègues déterminés à travailler au sein de l’association et du syndicat. Il a impulsé une nouvelle énergie à cette organisation qui l’a durablement relancée et lui a permis de surmonter la disparition de son fondateur. Nommé Président d’Honneur au terme de sa présidence, Antoine aurait pu se retirer avec le sentiment d’avoir exemplairement mené sa mission à bien. Il est au contraire resté très actif, se consacrant essentiellement à faire le lien avec la Fédération Française de Psychiatrie ainsi qu’avec les principales instances psychiatriques internationales.

Par ailleurs, artisan de la création de la Fédération Française de Psychiatrie il y a 20 ans, il a pratiquement toujours été membre du Bureau de cette dernière. Depuis quelques années, il y exerçait en outre la responsabilité de président du collège des thérapeutiques. À ce titre il se consacrait avec d’autres collègues à un projet de formation à la psychothérapie des internes en psychiatrie. Au sein de la Fédération, Antoine était également l’un des responsables des affaires internationales. Il a en effet toujours manifesté un vif intérêt pour les aspects internationaux de la psychiatrie. Ainsi, dès la fin de son internat, il avait complété sa formation en Suisse, à la polyclinique de Lausanne, avant de revenir s’installer en France. Plus tard, il a représenté la France durant plusieurs années au sein de la section de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’Union Européenne des Médecins Spécialistes. Antoine s’est également beaucoup engagé au niveau international au titre de la Fédération Française de Psychiatrie, notamment dans les démarches qui se sont développées pour élaborer une classification psychiatrique plus adaptée à la clinique du sujet que les classifications actuelles. Il a représenté la Fédération lors des conférences qui se sont tenues sur ce thème à Genève sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé et du Collège International pour la Médecine de la Personne, où il a contribué de façon décisive au diagnostic intégré centré sur la personne. Il s’était dévoué pour soutenir ce diagnostic intégré auprès du Centre Collaborateur de l’OMS qui travaille actuellement sur la révision de la Classification Internationale des Maladies. Cette partie de ses travaux comportait des enjeux considérables quant à l’évolution de la psychiatrie sur la scène mondiale. Toutefois, comportant des aspects très techniques, elle n’était pas nécessairement la plus visible pour ses collègues.

Enfin, Antoine nous a quittés alors qu’il venait d’être élu président de l’Alternative Fédérative des Associations de Psychiatrie, ALFAPSY, une fédération internationale d’associations de psychiatres privés francophones dans laquelle il était très actif depuis sa création au début des années 2000. Il débordait de projets pour ALFAPSY et il s’était rendu il y a une dizaine de jours au Congrès de la Société de l’Information Psychiatrique pour en parler avec le futur président de l’Association Mondiale de Psychiatrie qui se trouvait là. Si considérable qu’il soit, ce rapide tour d’horizon de ses activités de praticien, de militant et de théoricien de la psychiatrie ne suffit pourtant pas à rendre compte de tout ce qu’a fait Antoine pour notre discipline. On peut dire sans exagérer que rien d’important ne s’est fait en psychiatrie depuis 20 ans sans qu’il en fût partie prenante. Outre tout ce qui vient d’être rappelé, il a été l’une des chevilles ouvrières de la création du Comité d’Action Syndicale de la Psychiatrie en 1999, du Nouveau Livre Blanc de la Psychiatrie en 2001, des États Généraux de la Psychiatrie en 2003. Il était présent lors du lancement de l’Appel des 39 fin 2008. L’an passé il était l’un des organisateurs du colloque de Cerisy la Salle sur l’Empathie. Il y a moins d’un mois, il participait encore à la création d’une nouvelle association scientifique, dont il a lui-même choisi le nom, le Cercle d’Epistémologie des Pratiques Psychiatriques, et dans laquelle il envisageait bien sûr de s’investir.

Mais, quand on repense à l’homme qu’il était, le plus frappant est sans doute que rien ne laissait penser qu’il travaillait autant quand on le rencontrait. Antoine était toujours disponible, attentif, voire attentionné, totalement présent à son interlocuteur. Il possédait au plus haut point l’art de donner l’impression qu’il avait tout son temps et que rien ne pouvait l’intéresser davantage que ce qu’on avait à lui dire. Toujours courtois, chaleureux et souriant, Antoine avait en outre les qualités d’un grand diplomate. D’une part un esprit vif et ouvert, appuyé sur de vastes connaissances qui lui permettaient de soutenir une discussion sur de nombreux sujets. Mais, d’autre part, il ne cédait jamais ni sur ses principes, ni sur les missions qu’on lui confiait. Antoine était en effet un homme fidèle. Fidèle à ses convictions, fidèle à ses engagements, fidèle à ceux avec lesquels il travaillait ou au nom desquels il parlait. De surcroît, il possédait cette qualité rare, qui fait les grands ambassadeurs, de pouvoir soutenir fermement une position minoritaire, même au milieu d’une assemblée totalement hostile, tout en demeurant capable de rester présent aux autres. Si nombreuses que fussent les activités d’Antoine, elles demeuraient cependant toutes ordonnées à un dénominateur commun : celui d’une psychiatrie humaniste, fondée avant tout sur la relation avec le patient, éclairée par la clinique du sujet et réglée par des principes éthiques inlassablement rappelés. Durant plus de trente ans, Antoine fut l’un des principaux promoteurs, voire défenseurs quand elle s’est trouvée menacée, de cette conception humaniste de la psychiatrie.

Antoine avait de nombreux amis parmi ses collègues. Avec ces derniers, il discutait finalement assez peu de ses innombrables travaux. Sa conversation roulait de préférence sur ce qui lui était le plus précieux dans la vie : sa famille, son épouse Laurence et ses trois filles dont il était extrêmement fier. Il évoquait devant nous les projets qu’il faisait avec son épouse pour leur maison de Normandie, le plaisir qu’il avait de mettre son bateau à l’eau. Il vivait intensément toutes les dimensions de son existence. Antoine était donc avant tout profondément humain. En privé, il savait faire partager son humanité. Dans sa vie professionnelle et sur la scène publique, il a inlassablement travaillé pour promouvoir une psychiatrie à visage humain. Dans notre époque troublée, peu nombreux sont ceux qui se battent pour leurs valeurs. Plus rares encore sont ceux qui les incarnent. Antoine était l’un d’eux.


Retour au sommaire - BIPP n° 63 - Décembre 2012