Réponses au questionnaire urgence et permanence des soins

Thierry Delcourt
Retour au sommaire - BIPP n° 63 - Décembre 2012

Les 40 réponses que nous avons reçues ont permis de recueillir des éléments concrets pour étayer les positions que notre lutte syndicale avait à prendre. C'est un outil précieux, et je remercie encore tous ceux qui ont accepté de répondre à cette enquête.

Vous trouverez ici l'approche chiffrée ; le détail des réponses et leur analyse figurent en bonne place dans le Numéro Spécial 158 de Psychiatries, paru en novembre 2012.

Questionnaire

Question 1 - Pouvez-vous expliquer succinctement votre pratique éventuelle de l'urgence en cabinet privé ? Comment s'y manifestent les urgences ? Comment vous rendez-vous disponibles et à quelle charge de travail cela vous engage-t-il ? (temps passé en entretien avec le patient, la famille, les institutions - police, hôpital, pompiers, ambulances, confrères -, embolisation du cabinet et de la salle d'attente... travail en aval, secondaire au moment de l'urgence) Comment donc vous répondez (ou non) aux demandes urgentes ou pressantes des patients et des médecins généralistes ? Pouvez-vous donner une définition de l'urgence en lien concret avec votre pratique de psychiatre privé ?

Question 2 - À votre avis, le psychiatre privé a-t-il à prendre place dans un dispositif :
- de permanence de soins avec disponibilité immédiate
- d'urgence intégrée ou non dans un service de garde ou un « groupement de psychiatres »
- de mise à disposition d'un système de réponse aux urgences géré par le service public ?

Question 3 - Tenant compte des impératifs de votre cabinet, comment envisageriez-vous la place dédiée à une permanence des soins et le mode de rémunération de celle-ci ?

Question 4 - Comment envisagez-vous votre position de psychiatre privé dans le cadre des soins sous contrainte en ambulatoire ?

Question 5 - Craignez-vous que l'obligation de se mettre à disposition pour une permanence des soins et un dispositif d'urgence dans le cadre de la négociation conventionnelle et des ARS soit, à terme, articulé avec le dispositif de soins ambulatoires sous contrainte ? ... ce qui conduirait insidieusement vers une pratique de collaboration allant à l'encontre du combat que nous menons au sein du SNPP contre le texte de loi sur la réforme de la loi de 90 ?

Étude statistique

Question 1
§ Comment vous rendez-vous disponibles et à quelle charge de travail cela vous engage-t-il ? (temps passé en entretien avec le patient, la famille, les institutions - police, hôpital, pompiers, ambulances, confrères -, embolisation du cabinet et de la salle d'attente... travail en aval, secondaire au moment de l'urgence)

Aucune disponibilité : 4
Disponibilité pour patient connu : 18
Disponibilité pour tous : 18


§ Comment donc vous répondez (ou non) aux demandes urgentes ou pressantes des patients et des médecins généralistes ?

Refus de répondre : 5
Réponse aux patients connus : 19
Réponse à tous : 15


§ Pouvez-vous donner une définition de l'urgence en lien concret avec votre pratique de psychiatre privé ? Décompensation, psychoses du post-partum, état maniaque, crises aiguë, risque suicidaire, délire, angoisse sévère, agitation, effets secondaires des psychotropes, adolescent en crise, bouffée délirante aiguë, trauma psychique, passage à l'acte.
Urgences contextuelles : entourage, médecin généraliste, danger, solitude dans la souffrance, paroxysme de souffrance, adresseur, sentiment de danger du patient, hospitalisation à la demande d'un tiers, imminence.

Question 2
À votre avis, le psychiatre privé a-t-il à prendre place dans un dispositif :
§ de permanence de soins avec disponibilité immédiate :

Non : 31
Oui : 7
 

§ d'urgence intégrée ou non dans un service de garde ou un « groupement de psychiatres »

Non : 19
Oui : 17

§ de mise à disposition d'un système de réponse aux urgences géré par le service public ?

Non : 26
Oui : 9
 

Question 3
§ Tenant compte des impératifs de votre cabinet, comment envisageriez-vous la place dédiée à une permanence des soins ?

Aucune place : 17
Place dédiée : 15
Sans avis : 8
 

§ Et le mode de rémunération de celle-ci ?

Non spécifique : 5
Spécifique : 13 (de 1,5 à 6 Cpsy selon les modalités : acte, temps dédié, forfait, astreinte...)
 

Question 4
Comment envisagez-vous votre position de psychiatre privé dans le cadre des soins sous contrainte en ambulatoire ?

Refus de pratique : 29
Pratique : 10
Sans avis : 1
 

Question 5
Craignez-vous que l'obligation de se mettre à disposition pour une permanence des soins et un dispositif d'urgence dans le cadre de la négociation conventionnelle et des ARS soit, à terme, articulé avec le dispositif de soins ambulatoires sous contrainte ?... ce qui nous conduirait insidieusement vers une pratique de collaboration allant à l'encontre du combat que nous menons au sein du SNPP contre le texte de loi sur la réforme de la loi de 90 ?

Risque :
Non : 6
Oui : 28
Position de refus : 33
 
Analyse

Que disent les chiffres :

Question 1
D'une manière générale, les psychiatres privés se rendent disponibles pour l'urgence, quasi systématiquement lorsqu'il s'agit d'un patient connu, mais moins souvent pour le quidam.
Concrètement, cette disponibilité est plus délicate à concevoir, et les psychiatres montrent une certaine ambivalence, craignant d'être embolisés par les urgences.

Quant à une définition de ce que serait l'urgence en psychiatrie, outre les grands syndromes et leurs crises, il est pointé la notion de contexte de crise faisant intervenir une pluralité d'acteurs, l'entourage, le médecin traitant, la société. Ce contexte peut tempérer ou aggraver l'imminence et l'urgence.

On constate que le psychiatre se dit ouvert aux notions d'urgence et de permanence de soins. Il l'est en majorité, mais il craint d'être instrumentalisé par l'impératif de l'urgence. Il craint plus que tout que sa pratique singulière soit altérée et perturbée.

On relève l'insistance pour un suivi attentif, une disponibilité et une permanence des soins avec les patients connus. On constate aussi l'intérêt relatif du lien avec le médecin traitant et d'avoir à l'éclairer. Il semble que le psychiatre psychanalyste pur beurre se fasse plus rare, l'âge aidant. On relève l'attention à interroger l'urgence en tant que telle, à la relativiser, et à en repérer le sens et les motifs.

Question 2
Trois quarts des psychiatres privés refusent massivement la notion de disponibilité immédiate.
Ils prônent en général une disponibilité relative, différée, volontaire, partielle.
45 % des psychiatres qui ont répondu ne seraient pas opposés à l'idée d'un groupement de psychiatres en service de garde. Par contre, 75 % sont opposés à toute participation à un service de garde géré par le service public.
On constate le refus net de mettre à mal les conditions indispensables du colloque singulier et de l'acte psychiatrique par le biais de l'urgence. Le psychiatre privé veut rester maître à bord, choisir sa place et sa disponibilité aux urgences, tout en étant conscient de la nécessaire intrusion de l'urgence dans sa pratique.
Quant au dispositif de réponse à l'urgence, la notion d'autogestion d'une disponibilité n'écarte pas le fait de se regrouper mais refuse toute dépendance à l'égard du service public à qui il est demandé d'assumer sa responsabilité dans le cadre de l'urgence et de la permanence des soins, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Enfin, il est noté l'importance de la position du psychiatre privé comme demandeur d'une urgence, en général pour une hospitalisation. Celle-ci s'avère extrêmement problématique.

Question 3
Concernant la place dédiée à la permanence des soins, les psychiatres interrogés affirment qu'ils assurent déjà une permanence efficace et que celle-ci doit, pour le rester, ne pas être entravée ni embolisée par une pression de l'urgence. Moins d'un tiers des psychiatres est favorable à une place dédiée à l'urgence et à la permanence des soins.
Quant au mode de rémunération de l'urgence, les réponses sont rares et floues. Non seulement les psychiatres ne se font pas d'illusion sur la vraie rémunération au temps passé, mais ils insistent aussi sur la nécessité d'une valorisation réelle du Cpsy. Certaines hypothèses sont pour le moins intéressantes, notamment la notion d'astreinte rémunérée au temps passé, à quoi s'ajouteraient les actes effectifs d'urgence.

Question 4
La plupart des psychiatres interrogés restent perplexes et indécis car ils ne connaissent pas les modalités du projet de loi sur les soins sous contrainte en ambulatoire, loi édictée a posteriori par la loi du 5 juillet 2011. Donc, ils répondent en général par rapport à ce qu'ils connaissent de l'obligation de soin actuelle, face à laquelle ils éprouvent une grande réticence et une défiance.
Trois quarts des psychiatres refusent cette obligation de soins sous contrainte en ambulatoire, mais un tiers des psychiatres pratique déjà dans le cadre de l'obligation de soin.

Question 5
Il ne faut pas se cacher le fait que cette question était délibérément orientée. Elle visait à susciter un esprit critique autant qu'à sensibiliser et à mobiliser les psychiatres. La réponse est unanime : c'est le refus massif d'être instrumentalisé dans une confusion entre permanence des soins, soins sous contrainte, urgence et obligation de soins. Une majorité écrasante des psychiatres interrogés mesure le risque réel de ce piège.
Les réponses à l'enquête dont ne peuvent figurer ici que les données statistiques, montrent par leur richesse d'élaboration, à la fois la position éthique et pragmatique des psychiatres privés ; une position sur laquelle ils ne sont pas prêts de céder. La chose est rassurante et permet de renforcer notre position syndicale de vigilance, de lutte contre des lois liberticides et de veille active et résistante quant à l'organisation d'une permanence des soins lorsqu'elle n'est pensée que verticalement par des autorités qui ne connaissent ni le terrain social ni la singularité de la profession de psychiatre.

Enfin, la richesse de ces réponses constitue une base précieuse pour penser un Référentiel Métier tel qu'il est actuellement en voie de conception au sein de la Fédération Française de Psychiatrie grâce à Jean-Jacques Laboutière.


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