Access to psychiatrist private practice and Focus on setting up a psychanalytic space

Antoine Besse
Retour au sommaire - BIPP n° 63 - Décembre 2012

Voici le dernier texte d’Antoine Besse, en préparation pour une intervention internationale. Le choix de la rédaction est de le présenter sans rien en modifier, en son état de work in progress. Ce texte nous est confié par notre collègue et membre du C.A., William Markson, qui en assurait la traduction anglaise. Les premières phrases sont en anglais, ensuite, le texte, fidèle à sa pensée et à son action, Antoine pose les bases concrètes d’une psychiatrie privée en pleine évolution mais fidèle à ses principes fondamentaux.(NDLR)

Docteur Antoine Besse

« Il n’y a pas de trouble pathologique en soi, l’anormal ne peut être apprécié que dans une relation ». G. Canguilhem

Context

Until now France is second in the world for psychiatrist density (nearly four times higher than UK for example), with about 13500 psychiatrists for a general population of 60 Millions (CLERY MELIN et al 2002). Nearly 7000 of these psychiatrists are engaged in private practice meaning that most of them devote most of their time to individual psychotherapy activities. Two surveys realized in 1994 and 2004 (LEHEMBRE 2004) showed that 90% of these private practice psychiatrists consider themselves as psychotherapists, and for 80% of them, with reference to psychoanalysis; they are engaged in regular psychotherapy for 70% of their patents; these psychotherapies are generally reimbursed by the national health insurance system.

These findings are consistent with those of a more recent “clinical study” (AFPEP 2010) showing that a majority of French psychiatrists of private practice consider that multifocal approaches of the patient are the best model of treatment for person with “psychological suffering” and that psychodynamic references are most helpful to adapt to their needs.

This model is obviously related to the relatively high French ratio of psychiatrists; as such it is directly or indirectly affected by the governmental project to catch up with European ratio of psychiatrists.

“In spite of this dominant psychotherapeutic orientation, psychotherapeutic training has been rather poor in most French Universities. It is only recently that this specific question was directly addressed by the universities teaching programs: each student has now to take a number of compulsory education unit, including global information on various psychotherapeutic techniques and theories with a relatively large importance still given to psychodynamics and psychoanalysis. But, until now, there is no specific training in any of the psychotherapeutic technique, the specific trainings being left to the free will of each student through non-governmental scientific associations. Nevertheless most of the psychiatric wards receiving residents give them supervision for their psychiatric practices; but, here again, it cannot be seen as a specific training in any of the psychotherapeutic techniques. The setting of psychotherapeutic training in the undergraduate psychiatric education is currently discussed with a lot of debate on which of the existing techniques should be included and which of the existing scientific associations should be involved in this training. The strength and the diversity of French psychoanalytic movements (Freudian and Lacanian) add to the complexity of the problem” (Botbol 2005).

Actuellement en France, le cabinet du psychiatre d’exercice privé est totalement libre d’accès avant l’âge de 26 ans, une limite pour les patients plus âgés qui doivent en référer à leur généraliste (« médecin traitant »), l’assurance maladie imposant une coordination entre le psychiatre de ville et le généraliste pour rembourser entièrement le traitement, mais le patient reste libre de ne pas en avertir son médecin traitant et de s’adresser librement au psychiatre de son choix, il aura alors un plus faible remboursement.

Focus on setting up a psychanalytic space

Ainsi dans ma pratique de psychiatrie en cabinet (conventionné avec l’assurance maladie). Je vais rencontrer le patient de telle manière que cette relation devienne thérapeutique selon chaque cas. Le travail du psychiatre en cabinet sera dès le premier instant clinique empathique. Il va s’agir dans cette première approche d’évaluer la souffrance liée à la psychopathologie, la partie malade du patient mais aussi d’explorer différents domaines pour éclairer la demande du patient.

Les premières consultations :

Dans la pratique du cabinet, dès la première rencontre avec le patient, nous prendrons en compte la situation et le contexte dans lequel vit le patient.

Le travail ici n’est pas pensé en termes d’explication, ni d’interprétation mais en dimension d’intuition (comme Poincaré en parle chez les mathématiciens) ou de sensation. Il s’agit pour le praticien que je suis de construire ces espaces, d’en étendre la compréhension à l’ensemble d’un processus.

Cette première rencontre cruciale va inaugurer ou non un cheminement à deux personnes : le patient et celui qui va peut-être devenir son psychiatre, si chacun y ressent l’utilité et la possibilité de poursuivre l’échange après les premiers entretiens.

Penser avec tact et respect, comme s’il s’agissait de lui et des siens ? Ainsi le principe de réciprocité s’est-il imposé à notre bon sens.

Pourtant, le lien thérapeutique reste asymétrique. Tout du long du cheminement à deux, chacun devra accepter sa solitude et la force qui en émergera. Le recul indispensable au psychiatre pour penser en termes personnels à l’autre en difficulté, il le trouve dans son for intérieur, sensible et empathique.

Empathique plutôt que sympathique, l’empathie étant faite d’un mélange de cognitif et d’affectif. Il s’agit aussi pour le psychiatre de n’être pas complice de la maladie mentale dont est affecté son patient. Malgré les résistances inhérentes au début de la démarche consultative, le patient cherche auprès de son psychiatre les ressources pour en sortir, ou même en guérir.

S. Freud avait parlé d’un savoir inconscient qui ne sait pas, Unbewust. J. Lacan a théorisé ce savoir qui ne se sait pas, comme des enchaînements de chaînes signifiantes.

Nous examinerons l’importance de parler d’une consistance (d’une auto consistance) du côté du psychiatre et du côté du patient. La personne (ce que nous sommes) et le personnage (le rôle que nous jouons, ce que les autres perçoivent de nous et ce qu’ils vont chercher à influencer).

Le psychiatre en tant que personnage est exposé à des effets d’influence. Il est lui-même celui qui va faire apparaître de l’inapparent, par sa fonction et sa présence. Il est une sorte de médiateur vis-à-vis des données implicites, des racines, de ce qui est sous jacent à la personne elle-même. Sans lui, tout reste virtuel, englué dans sa réalité.

Le patient aussi subit des influences dans son entourage.

Temporalité (schéma1) :

Parmi les pistes de réflexion sur mon travail de psychiatre de ville, en cabinet privé, deux dimensions conduisent à préciser des temps distincts dans la dynamique de la rencontre et parallèlement différents espaces mentaux de travail.

Premier temps – Avoir envie d’avoir envie Dans ce moment initial où se révèle l’être en soi du patient avec ses différentes donnes (cf. les espaces du schéma 2), il faudra parfois générer une demande, permettre au patient d’avoir envie d’avoir envie. Éventuellement, devant un patient n’ayant jamais pris le temps de penser sérieusement à soi, proposer une décantation : lui proposer de trier entre ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas puis lui proposer de se questionner sur ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas.

Deuxième temps – Avoir envie Les prolégomènes, souvent appelés « entretiens préliminaires ». – Avoir envie, sorte de mise en jeu vitale de changement d’état.

Troisième temps – Celui de désirer le traitement.

Et puis le quatrième temps – Opérer le changement.

Parfois, la difficulté consiste en ce qu’une grande partie de ces mises en chantier ne puisse aboutir à la phase que j’appelle 3, c’est-à-dire celle d’un traitement. Si on est vraiment trop seul, je veux dire isolé, que l’on sent autour du patient aucune personne solidaire de sa démarche et prête à l’encourager à s’engager dans cet espace de travail, on risque, à mon avis, de perdre pied. L’enjeu, face au patient que l’on reçoit, porteur de ses symptômes, est un changement d’état… Et cela n’est pas facile à penser. C’est toute la potentialité de ce patient que le psychiatre doit sentir, laisser venir dans sa pensée clinique, dans un mouvement de « construction de l’espace analytique ». Avec ce que la rencontre avec le patient lui inspire, il va avoir à opérer une mise en jeu vitale de changement à travers plusieurs étapes que nous nous figurons dans notre pensée.

Son savoir être et son savoir faire mêlant des expériences déjà réussies ou des élaborations après supervision à propos de cas similaires ayant posé des difficultés. Ce n’est parfois, sur notre feuille de papier, qu’une esquisse faite au crayon (un peu comme l’architecte face à son client et son projet). Puis, l’on imagine, pense plus ou moins intuitivement, évoquant le patient, une fois sa demande énoncée. Cette évocation comprend aussi le temps qu’il va lui falloir pour y accéder un jour et être dans cet « état de bien-être » qui n’est pas encore là (espace du pas là, cf. schéma 2).

La consistance, l’« espace auto-consistant » (Schéma 2) 

Il s’agit d’une notion dont la pertinence s’est imposée comme représentation, avant même que les contraintes liées à une mode sociétale de transparence aient contaminé notre champ, exigeant toujours plus de preuves, nous enjoignant à un idéal d’évaluation, sans vraiment se soucier de nos savoirs et de nos connaissances liés à nos pratiques.

Il est difficile de rendre compte de cette pratique. L’ensemble des critères utilisés quand je travaille à mon cabinet pour concevoir un espace mental de travail. Lors de la rencontre initiale, j’écoute le patient qui se présente à moi selon différents espaces :

– L’espace du patient au travail ;

– L’espace du patient en famille ;

– L’espace d’où il vient, l’espace de son histoire générique et familiale ;

– Et enfin son espace de bien-être, d’équilibre et de gestion de sa santé.

Comment penser cet espace à trois dimensions (Schéma 2) ? Il y a moi (1) ; il y a l’espace consistant (2) où le symptôme est intégré aux manières de faire, de sentir de la personne (du patient) ; et il y a une part d’imagination qui est l’espace (3) du « pas là » dans notre environnement. Cet espace est non directement présent entre les sujets. Il s’agit, en même temps, de générer une grande force de l’esprit, (« transfert » et « contre transfert ») qui devra oeuvrer au sein de la relation « analytique », afin de surmonter les résistances tant du côté patient que, certes à un degré moindre, du psychiatre.

En effet, il faut étendre progressivement la compréhension à l’ensemble du processus. Ainsi, chaque espace a une qualité et une existence propre mais, par le biais des emboîtements, nous voyons apparaître des champs de corrélation et de conséquences observables. J’ai parfois demandé à un adolescent qui « agissait » le transfert avec moi dans le social avec trop de retours de tous côtés : « pourrais-tu faire en sorte que l’on arrête de m’appeler à ton sujet »…

Avec les adultes, c’est un peu pareil lorsqu’il s’avère utile d’instaurer le dispositif de double suivi, le patient ayant un psychiatre pour parler et un praticien pour les prescriptions. Ainsi, j’essaye de poser des limites à mon travail et de les dire à mon patient s’il accepte de continuer un suivi psychothérapique d’inspiration psychanalytique.

Créativité et tentative thérapeutiques totales ou partielles (Schéma 3)

Serge Viderman avait parlé de la « construction de l’espace analytique » dans un ouvrage qui garde une grande acuité et profondeur. Il utilise le terme d’espace analytique(1).

Jacques Derrida parlait de l’écoute comme d’un « espace d’accueil ». Pour moi, il s’agit de construire mon espace mental de travail et celui-ci devra être consistant, je dirai même plus en le nommant « auto consistant ». Cela en raison des influences et contraintes diverses. Le patient aura lui aussi à développer sa propre consistance, même si au début elle est faible et fragilisée (cf. le symptôme). Le symptôme est quelque chose qui rend le patient très dépendant de cet état de mal-être ou de négativité.

Il n’est donc pas du tout gagné d’avance, ni facile, de le porter vers cet autre état, comme un changement de peau, pourrait-on dire. Il y a beaucoup de résistance pour aller dans cette phase dite « de traitement ».

C’est donc d’une émancipation, voire parfois d’une désaliénation qui est envisagée à deux, dans un échange de parole, tendu vers du sens et de la force.

Il ne suffit pas d’avoir envie de psychothérapie, il faut que le patient se mette en position de se sortir d’un chaos, d’être un peu comme un cothérapeute dans l’espace de changement et de lutter pour l’ouverture de l’envie.

Une autre dimension à ne jamais oublier est celle de l’espace du concret que je rapatrie dans l’espace thérapeutique. Cet espace du concret, reste une dimension très forte pour le psychiatre. Il lui appartient de savoir écouter et réfléchir aux dimensions sociales, corporelles, avec son savoir sans cesse actualisé, sur les métiers etc. C’est un peu en personne de « terrain », qu’il va devoir découvrir un domaine nouveau Un autre exemple : lors de la psychothérapie d’un patient âgé, très dépressif après une amputation de jambe, qui avait renoué avec l’ardeur de vivre en me faisant le récit d’un acte héroïque lors de sa « résistance » pendant la période de l’« occupation », s’appuyant, pour son récit situé en montagne, d’une carte de la région.

En même temps, se distingue l’espace des interactions constantes, qui doivent être pensées, et avec lesquelles on doit pouvoir créer quelque chose de moins chaotique. Chaotique est souvent la caractéristique de la maladie dans laquelle est pris le patient. C’est là où se situe notre travail (schéma 4).

Nous acquérons, au fur et à mesure, à la fois un savoir faire et un savoir être. Freud parlait d’un savoir inconscient qui ne se sait pas « Unbewust ». La maladie est comme un message que s’envoie le patient à lui-même. La maladie entraîne des modifications, des ajustements ou perturbations dans les relations du sujet malade avec son monde.

La « relation thérapeutique » disait J.- P. Valabrega « s’institue sur ce fond de modifications relationnelles intra et intersubjective ». Traducteur français du livre de M. Balint « Le médecin, son malade et la maladie », il rappelait l’importance, pour Balint, des notions de climat et d’atmosphère dans la pratique médicale. Tout cela converge vers ce que j’appelle l’espace du travail thérapeutique. Il faut arriver à penser sans être tenu d’expliquer ni d’interpréter mais en dimension d’intuition ou de sensation.

Conclusion

Dans mes propos, j’ai présenté l’accès au cabinet du psychiatre privé et son cadre administratif, pas les contraintes liées à la condition de médecin et à son conventionnement avec la Caisse d’Assurance Maladie (CPAM) en tant que psychiatre exerçant en cabinet privé dit « conventionné ».

Son indépendance professionnelle a toujours été valorisée et encouragée, même comme un droit et un devoir. Les évolutions en cours vont-elles entamer la consistance du psychiatre ? Les droits des patients, l’émergence d’une « citoyenneté sanitaire », garantie par des lois récentes et la culture de santé publique qui se développe dans tous les pays développés, amènent le psychiatre de ville à bien se situer dans l’ensemble du système de soins « de ville ».

Cette consistance du psychiatre dans sa pratique, sa pensée, son être et son esprit vont-elles lui permettre de continuer à exercer son métier dans un esprit d’indépendance et de créativité vis-à-vis du patient ? Ou va-t-elle perdre de son authenticité si utile et si bénéfique pour le patient dans la dynamique du traitement ? Je citerai pour finir une réflexion du philosophe Emmanuel Lévinas : « Être véritablement soimême, ce n’est pas reprendre son vol au-dessus des contingences, toujours étrangères à la liberté du Moi ; c’est au contraire prendre conscience de l’enchaînement originel inéluctable, unique à notre corps ; c’est surtout accepter cet enchaînement ».

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(1) Ainsi, rappelant l’article de J.-P.Sartre, d’avril 1969 dans les Temps modernes, intitulé « Le dialogue psychanalytique », celui-ci rappelait l’inscription soixante-huitarde : « Analysés levez-vous », « il n’y a pas d’analyse dans une autre position que celle exigée par l’analyste, hors de la situation définie et maintenue rigoureusement par l’analyste. On ne peut pas faire n’importe quoi dans une situation qui n’est pas n’importe laquelle » lorsque la situation se renverse et le rapport de force s’inverse, nous ne savons plus où est le psychanalyste» commente Viderman. « Ce qui fait le psychanalyste c’est sa position dans l’espace analytique ; ce qui fait la puissance de sa parole, qui n’en est pas l’essence à elle attachée comme le parfum à la fleur, c’est la structure de l’espace où elle est dite, où tout est valorisé, y compris le silence ou l’onomatopée ».

 

 


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