Arrêtez-moi ! Antoine, encore 5 minutes

Yves Froger
Retour au sommaire - BIPP n° 63 - Décembre 2012

Combien de fois nombre d’entre-nous ont été amenés à interrompre Antoine ? C’était mon rôle, lui président, moi secrétaire général à ses côtés, canalisant son temps de parole dans nos réunions communes. C’était surtout devenu une plaisanterie incontournable entre nous : de combien j’ai dépassé aujourd’hui ?

Et en effet Antoine dépassait, il débordait même. Jean-Jacques Laboutière, dans l’hommage qu’il lui a rendu, nous a rappelé tout ce qu’Antoine faisait. Alors en effet, comment aurait-il pu ne pas déborder ? Il avait tant à dire et tant à faire, toujours soucieux de nous faire partager ses avancées, de nous associer à ses succès, de nous délivrer toutes les informations qu’il détenait, mais aussi de nous interroger avant de prendre une décision importante, de s’assurer de la pertinence de ses positions, n’hésitant pas à remettre en question son argumentation au fil de nos échanges, enrichissant son propos de nos remarques. Le réductionnisme était son ennemi, il s’efforçait d’élargir au maximum sa réflexion. Antoine nous rendait intelligents et ne ménageait ni son énergie ni son temps pour peaufiner ses idées.

Dans de telles conditions, travailler auprès de cet homme a été un très grand honneur, un très grand plaisir et un immense privilège. Le privilège de discussions téléphoniques interminables où Antoine s’efforçait de me décrire dans les moindres détails les travaux complexes auxquels il participait, notamment dans tout ce qui concernait les enjeux internationaux de la psychiatrie. Il n’en oubliait pas moins les dossiers nationaux et préparait avec le même soin les réunions au ministère ou avec les tutelles. Antoine sollicitait énormément de rendez-vous, convaincu qu’il était de ne jamais devoir laisser passer l’opportunité de rencontrer nos interlocuteurs dans l’espoir de délivrer inlassablement nos messages et nos revendications avec toute l’énergie et l’enthousiasme qui le caractérisaient et le mobilisaient, à tel point qu’il convenait là aussi de le freiner, chose difficile tant son engouement était communicatif et forçait le respect. Antoine était un travailleur inlassable habité par l’impératif d’être toujours au plus près du mandat que lui confiaient les adhérents, ne rien laisser de côté et retranscrire au plus juste les orientations prises en Assemblée Générale tout en les réactualisant au gré des évènements nouveaux. Cette exigence chez les responsables de son envergure, et ils sont rares, repose sur un engagement sans faille, une détermination à toute épreuve et une mobilité psychique sans cesse en éveil. Cela faisait d’Antoine un président exemplaire et un camarade de travail toujours stimulant et totalement rassurant. Mais aussi longtemps que duraient les échanges et le travail, Antoine gardait toujours du temps pour la convivialité, quelques mots au téléphone sur nos activités familiales, la dernière pièce de théâtre qu’il avait vue, le concert auquel il avait assisté ou les résultats de foot de nos villes respectives, ou bien plus longuement autour d’un verre ou d’un repas à la fin de nos réunions pour évoquer sa passion pour son bateau.

Nous nous sommes toujours quittés complices rieurs, déterminés, fatigués. Antoine conservait ce sourire irrésistible et le regard lumineux. C’était encore le cas lors de notre dernière rencontre en septembre, une foule de choses à faire, des projets pleins la tête, des rendez-vous à venir. Une nouvelle fois, Antoine m’a rappelé quelques jours après pour préciser encore plus les choses. Comme toujours il débordait. Mais cette fois il s’est arrêté au moment où personne ne le lui demandait ; bien au contraire, il était sollicité de toute part.

Antoine tu nous manques déjà.


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