Les incompatibles
En dépit d’un affichage trompeur de bonnes intentions, la réforme issue de l’articulation de la loi HPST, de la loi du 5 juillet 2011 et du plan « santé mentale », sous la houlette de la HAS, se résume à une volonté de gouvernance tyrannique des soins.
L’objectif est de soumettre au niveau régional tant la psychiatrie publique que privée aux objectifs décidés et validés par la HAS. Une telle réforme est incompatible avec l’exercice de la psychiatrie à différents niveaux.
Tout d’abord, la HAS s’est décrédibilisée aux yeux des psychiatres et ses directives, en l’état actuel des choses, ne peuvent qu’engendrer une opposition massive :
Sa récente prise de position concernant l’autisme est inacceptable. En effet, la HAS s’est posée en arbitre entre différentes institutions voire lobbies et non dans une recherche d’un soin juste tant au niveau scientifique que d’expérience praticienne.
Par ailleurs, la HAS s’est également décrédibilisée en imposant dans les cliniques psychiatriques des normes justifiées dans les cliniques de « médecine-chirurgie-obstétrique », en imposant un degré d’informatisation inutile au sein du colloque singulier psychiatrique, en utilisant une « novlangue » issue au mieux du marketing, en ne reconnaissant pas une pourtant évidente spécificité de la psychiatrie, en visant le contrôle plutôt que le soin, en annonçant vouloir éloigner les psychiatres de leurs pratiques professionnelles.
La HAS se fait ainsi complice d’un politique qui cherche à construire à marche forcée une « bulle psychiatrique » (centres experts, industrie du médicament, lobbies divers et variés, études tronquées, publicité partiale, psychothérapies douteuses, génétique mal orientée, prévention fictive à défaut du soin, prédictivité scandaleuse), en choisissant de soigner des symptômes plutôt que des malades, ce qui est particulièrement un non sens dans cette spécialité. La non reconnaissance de la spécificité de la psychiatrie ne peut donner lieu qu’à des incohérences.
Une réforme de la psychiatrie ne peut s’engager qu’avec la collaboration des différents acteurs du soin tout en tenant compte des nécessités émanant des patients ou de leurs proches et non par un envahissement réglementaire. Le climat de confiance, pourtant essentiel, fait cruellement défaut, ce qui voue cette réforme à un échec coûteux, cuisant et destructeur.
Une tutelle « éclairée » se doit de prendre en compte les éléments suivants :
§ Les fondamentaux du soin (indépendance professionnelle, confidentialité et strict respect du secret professionnel, libre choix du psychiatre et du patient, accès pour tous, solidarité nationale), sont bafoués par la tutelle de l’ARS qui orienterait non vers le soin mais vers des « missions » imaginées par des administratifs et non des praticiens.
§ Les fondamentaux du soin sont bafoués par la loi du 5 juillet 2011 qui nie l’indépendance professionnelle et le libre choix du médecin, désorganise le service public, dénature la place des juges, stigmatise les patients, légitime des pratiques inavouables, oblige à des modes de soins non prévus par notre constitution, oriente le psychiatre vers l’expertise et l’éloigne de sa mission.
§ Les fondamentaux du soin sont bafoués par la prise en otage des concepts guidant la psychiatrie par une partie d’un monde universitaire orienté par l’industrie, par la mise à l‘écart de la psychopathologie, par un statut d’handicapé dangereusement affublé à nos patients, par une gestion des risques inadaptée et stérilisante, par le déclassement du soin aux malades au profit d’investissements dans un « capital santé » étranger à une philosophie thérapeutique.
Le soin psychiatrique reste singulier et ne peut répondre à des catégorisations rigides, protocolisées. Il s’invente au cas par cas. C’est là un fait d’expérience.
Une psychiatrie lucide se doit d’inventer des conditions « instituantes », un cadre de pratiques adaptables, et non de se soumettre à des conduites instituées, uniformes, et, de facto, déresponsabilisantes.