DPC, éthique de l’AFPEP et recommandations HAS
Le DPC (Développement Professionnel Continu) devrait voir le jour en 2013 ; se substituant à l’ancienne formule de formation continue, il regroupe les volets évaluation et formation dite cognitive. Il nous est annoncé dans un de ces discours jargonnant propre à nos instances tutélaires : il s’agit pour chaque praticien de « construire sa maison qualité (sic) à l’aide de briques (resic) » chacun disposant pour cela d’un « portefeuille d’actions ». « Le praticien choisit son programme de DPC en fonction de ses besoins et en conformité avec les orientations régionales (lire dictées par les ARS) et nationales (lire dictées par la HAS) ».
Pour les libéraux, l’EPP peut se faire dans le cadre des groupes de pairs et doit déboucher sur une action de formation qui peut être présentielle (congrès, séminaires, ateliers) ou individuelle (revues, formation en ligne), suivie d’un retour à l’évaluation vérifiant l’intégration des nouvelles acquisitions.
L’AFPEP peut donc légitimement se porter candidate à être ODPC (organisme de DPC). Forts de nos expériences de groupes de pairs, de nos journées scientifiques incluant des ateliers, pouvant arguer de nos publications dont la revue Psychiatries, nous continuerions ainsi à affirmer notre choix d’inter formation, partie intégrante de notre éthique professionnelle. Il semblerait donc aller de soi que nous mettions en oeuvre la construction de programmes DPC. Mais la chose n’est pas si évidente. En effet le référent et le garant méthodologique, définissant un catalogue de méthodes, n’est autre que la HAS dont nous avons pu ces derniers mois apprécier l’incongruité des recommandations en psychiatrie, les groupes de pression disposant d’une oreille dont n’ont pas bénéficié les professionnels.
Cette question de l’inadéquation des préconisations HAS à notre discipline n’est pas nouvelle, il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’article de Jean-Jacques Laboutière : « Évaluation des pratiques professionnelles et psychiatrie privée » paru en 2006 dans l’Information Psychiatrique. Mais pour n’être pas récente la question reste d’actualité.
En septembre 2012, notre confrère Alain Gillis devait, lors d’une intervention auprès de philosophes, de psychanalystes et de psychiatres, parler de son expérience du packing et de l’évolution de la théorie, interrogeant le rapport avec le Holding winnicottien ; il s’agissait de réfléchir au développement du Moi et au rapport entre le Corps et la conscience de Soi, sans l’ombre d’une position prosélyte, dans un cadre universitaire ordinaire. L’Université en question, suite à l’intervention d’une association de parents d’enfants autistes confondant loi et recommandation (les recommandations HAS ne font pas loi), a annulé cette conférence. L’affaire, qui mérite toute notre attention, a été développée par Alain Gillis lui-même dans un article publié par Médiapart et dans les colonnes de notre Newsletter Caractères.
La prudence nous obligerait-elle donc à nous censurer dans nos propositions de programmes DPC en fonction des productions de la HAS dont l’indépendance reste à prouver ? Notre éthique sera-t-elle HAS compatible ou soluble dans les recommandations ? Comment la concilierons-nous avec l’intérêt de se porter Organisme de DPC en espérant ainsi transmettre cette éthique sans nous laisser stériliser ?
Ce sont des questions que nous devons considérer attentivement et qui font d’ores et déjà l’objet d’un débat entre nous. Devons-nous nous inspirer de la résistance de l’Association des Psychiatres de Secteur Infanto-Juvénile qui a décidé, par vote de son Conseil d’Administration du 19 octobre 2012, de refuser de participer au travail d’élaboration de la recommandation de bonnes pratiques « Conduite à tenir devant un enfant ou un adolescent présentant un déficit de l’attention et/ou un problème d’agitation » que coordonne la Haute Autorité de Santé et dont les groupes de travail et de lecture sont en cours de constitution ?
Comme l’indiquait Jean-Jacques Laboutière en 2006 : « L’EPP repose donc sur ce postulat – sans doute valide en médecine somatique – que la qualité des soins est maximum quand la pratique se confond avec la norme. Or les choses sont un peu moins simplistes en psychiatrie, discipline dans laquelle les indicateurs de qualité tiennent avant tout aux moyens mis en oeuvre pour ajuster la stratégie thérapeutique au plus près des particularités de chaque patient. Si la norme est l’horizon indépassable – et peut-être inaccessible – de la qualité des soins en médecine somatique, elle n’en est que le point de départ en psychiatrie. Pour le dire net, une psychiatrie qui se donnerait comme principale ambition de réduire ses pratiques à une norme, cette dernière fût-elle incontestablement valide, serait évidemment une psychiatrie en régression. La qualité des soins en psychiatrie se mesure au contraire par un indispensable écart à la norme qui témoigne du travail clinique dès lors que le praticien est en mesure d’en rendre compte par une argumentation à la fois clinique et théorique. Le référentiel a donc une fonction radicalement différente en médecine somatique et en psychiatrie. Visée idéalisante en médecine somatique, il ne sert en psychiatrie que de point d’origine pour mesurer cet écart entre le référentiel et la pratique dont l’existence et la justification sont précisément les meilleurs indicateurs qui soient de la qualité des soins. Nos tutelles serontelles capables de le comprendre et d’en tirer les conséquences dans une méthodologie propre à la psychiatrie ? Tous les enjeux de l’EPP (et donc du DPC*) en psychiatrie, et donc en psychiatrie privée, se résument à cette question »**.
Note du Bureau de l’AFPEP – SNPP
À l’heure où nous mettons sous presse nous apprenons que notre confrère Alain Gillis fait l’objet de pressions pour avoir relaté dans la presse les causes de l’annulation de son séminaire. Nous ne pouvons qu’être inquiets face au climat actuel qui pèse sur notre pratique. Les fondamentaux de l’AFPEP – SNPP sont aussi valables dans un cadre de résistance à toute forme d’intimidation et d’incitation à l’autocensure.